par l'abbé Gad Aïna
Frères et sœurs dans le Christ,
Aujourd’hui, nous nommons spontanément cet évangile, la parabole du bon samaritain. Mais pour les auditeurs de Jésus, le samaritain ne peut pas être bon. En effet, le samaritain est descendant de colons étrangers venus d’Assyrie au 8è siècle avant Jésus-Christ (2 R 17, 5ss). Avant cet épisode, s’ils avaient été israélites, les samaritains étaient à l’origine de la sécession qui a divisé le pays en deux après la mort de Salomon, rompant ainsi avec la bénédiction davidique, puisqu’ils créèrent un temple en Samarie pour y domicilier le culte et ne pas aller à Jérusalem.
Au IVe siècle avant Jésus-Christ, les samaritains se sont religieusement séparés du judaïsme postexilique, en emportant des documents de l’Ecriture Sainte qu’ils ont modifiés et adaptés. Le samaritain, s’il n’est pas païen, il est hybride. S’il est croyant, il en est un de deuxième zone, soit hérétique, soit schismatique. Et s’il n’est ni l’un ni l’autre, il ne doit être ni bon, ni fréquentable. Les samaritains sont donc méprisés des Judéens. Pour m’arrêter là, « samaritain » était même une injure. Voilà ainsi décrite la figure que Jésus met au centre de sa parabole pour signifier l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Une telle personne peut-elle être bonne jusqu’à être proposée en exemple ? Pourquoi et comment Jésus arrive-t-il à réaliser ce coup de force ?
La focalisation de Jésus sur le samaritain nous oblige à nous demander à quoi ou à qui il oppose son personnage. Son attitude est voulue par son interlocuteur. A qui donc s’oppose le personnage du samaritain ? La réponse est un maître de la loi. En quoi le maître de la loi arbore-t-il des traits à éviter. D’abord une personne qui s’identifie comme juste. Un maître de Dieu dont il maîtrise les commandements, contrôle les préceptes. Il en connaît le sens, l’explicite et identifie ce qui est permis ou interdit. De plus, il interroge Jésus pour l’embarrasser : « que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ». Jésus lui renvoie la question à laquelle il répond par un passage de la loi (Dt 6,5). Demeurant dans sa logique de droiture, il veut comme s’auto-justifier en demandant à Jésus « qui est mon prochain ? »
En effet, dans l’Ancien Testament, le prochain, c’est le membre du même clan, le voisin, le compatriote (Ex 20.16 ; Dt 5.21 ; Mi 2.2 Pr 3.29). Quand la Loi recommande l’amour du prochain ( Lv 19.18), ou même de l’étranger ( 19.34), il s’agit de l’Israélite d’une autre tribu. Il s’attend sans doute à ce que Jésus confirme ses pensées et donc sa facture de juste. Mieux, cette manière de penser ou d’agir innocente la priorité essentielle que l’on donne aux proches, en entretenant ainsi une discrimination dans le si noble sentiment de l’amour. L’autre, le différent, l’étranger, l’hérétique, le pécheur n’y aurait pas droit, sinon seulement en deuxième position.
Mais ce que le Seigneur fait de l’occasion que lui offre le docteur de la Loi, est une perle qui transforme à jamais la vision du prochain et le regard sur l’autre. Jésus, en plus du choix du samaritain, heurte tout le monde avec l’opposition du prêtre et du Samaritain, l’homme du peuple voisin qu’on ne peut pas aimer. On peut affirmer sans se tromper qu’il démolit toutes les privatisations de l’amour sur les autels de nos références particulières.
Mais Jésus fait bien plus qu’ouvrir la notion du prochain, il échappe à la grande préoccupation d’alors : ce que la loi permet et ce à quoi elle oblige. Il fait de l’amour du prochain un amour vrai, qui naît du cœur et d’un appel intérieur plus fort que le danger. Car le Samaritain est allé plus loin que son émotion. Il est allé plus loin que les principes qui l’empêcheraient. Il s’arrête dans un endroit dangereux, il paie, et il court d’autres risques encore quand il s’engage à couvrir les frais nécessaires.
Pour aller au large de la démarche d’amour vers le prochain - cette démarche, au-delà des actes, vise à créer un monde meilleur -, je voudrais reprendre ici les propos de Martin Luther King. Il remarquait que l’amour ne se limite pas à soulager ceux qui souffrent : « Au début, nous devons être le bon Samaritain envers ceux qui sont tombés le long du chemin. Mais un jour, nous devrons admettre que le chemin de Jéricho doit être refait pour que les hommes et les femmes ne continuent pas à être battus et volés pendant qu’ils s’acheminent sur les sentiers de la vie. »
Frères et sœurs dans le Christ, Jésus refuse de voir les rapports humains conditionnés par les liens du sang, de l’histoire et de la religion ; il nous invite à créer un nouveau type de relations dans lequel l’ouverture du cœur et l’amour vrai ont l’initiative. Et c’est ainsi qu’il renverse la notion habituelle du prochain dans sa conclusion qu’on lit souvent sans la comprendre : le prochain n’est pas celui qu’on aidera, mais celui qui a aimé, celui qui se fait prochain de l’autre.
Et toi mon frère, ma sœur, maintiendras-tu toujours tes barrières ou tes priorités dans l’amour des autres ? Après le message de Jésus, va et toi-aussi fais de même, de qui te feras-tu le prochain ?