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Mouvement et stabilité

par l'abbé Marc Matondo

 

Le 18 décembre 2023, le Dicastère pour la doctrine de la foi a publié le document Fiducia Supplicans qui traite des bénédictions liturgiques et des bénédictions hors liturgiques. Beaucoup de choses ont été dites à la suite de cette publication, entre approbations et critiques. Il ne s’agit pas ici de donner un jugement ni une opinion sur ce document, mais penser autrement la vérité sur le changement et la stabilité. 

 

Nous partons de l’exhortation de Saint Paul aux Corinthiens : « Car il passe, ce monde tel que nous le voyons. » ( 1 Co 7, 31). Ici se pose la question de l’objectivité de ce que nous voyons, ce que nous sentons, ce que nous faisons et ce à quoi nous aspirons. Il nous faut ici opposer deux tendances ou deux courants de pensée, entre celui qui pense que rien n’est permanent, tout est mouvement et celui qui admet une certaine stabilité dans la création. Le premier courant de pensée est l’héritage d’un certain Héraclite, philosophe du VIème siècle avant Jésus Christ qui soutenait l’idée du perpétuel changement. Pour lui, il n’y aurait pas d’identité ni d’essence permanente. Sa phrase célèbre est : « on ne se baigne pas deux fois dans un même fleuve. » Cette thèse laisse entendre que l’homme est la mesure de toute chose comme le soutenait le célèbre sophiste présocratique Protagoras (490-420 Av. J. C.). 

 

 

Trois manières de comprendre cette thèse : 

1. Toute connaissance est empirique, c’est-à-dire, tout ce que je sais, je le sais car je l’ai perçu, vu, entendu, etc.

2. Si la connaissance est empirique c’est que toute connaissance est relative parce que chaque personne perçoit et apprécie différemment les choses qui arrivent par les sens.

3. Ce qui conduit à un mobilisme parce que tout dépend de ma perception des choses et rien n’est stable. 

 

Il est vrai que l’homme change et évolue, l’homme préhistorique n’est pas l’homme du moyen âge, des temps modernes ou contemporains. Chaque génération se modèle et s’accommode par rapport à ses acquis sociaux et scientifiques. Ce qui suppose que les différents peuples n’aient pas toujours les mêmes appréhensions des choses ou des sujets d’actualités. 

 

Néanmoins, en nous inspirant de la sagesse du livre de l’Ecclésiaste, nous pouvons reconnaître que l’homme évolue au fil des siècles, mais cela ne signifie pas la négation totale de ce qui existe : les acquis existentiaux et existentiels :

« Tous les fleuves vont à la mer, et la mer n’est pas remplie ; dans le sens où vont les fleuves, les fleuves continuent de couler. Tout discours est fatigant, on ne peut jamais tout dire. L’œil n’a jamais fini de voir, ni l’oreille d’entendre. Ce qui a existé, c’est cela qui existera ; ce qui s’est fait, c’est cela qui se fera ; rien de nouveau sous le soleil. » Qo. 1, 7-9.

 

Avec Qohèleth nous comprenons que la connaissance n’est pas qu’empirique. Il y a dans la nature des réalités abstraites ou intelligibles qui ne peuvent pas être dépassées et qui sont stables. Nous pensons par exemple aux réalités mathématiques, aux lois immuables de la nature, etc. 

 

Le Pape Jean Paul II rappelle dans l’encyclique Veritatis Splendor que Dieu a permis à l’homme de manger tous les fruits du jardin sauf celui de la connaissance du bien et du mal. Il y a dans cette métaphore la vérité selon laquelle l’agir de l’homme a une limite qu’il ne peut pas franchir pour ne pas être passible de la mort éternelle : « la Révélation enseigne que le pouvoir de décider du bien et du mal n'appartient pas à l'homme, mais à Dieu seul. Assurément, l'homme est libre du fait qu'il peut comprendre et recevoir les commandements de Dieu. Et il jouit d'une liberté très considérable, puisqu'il peut manger « de tous les arbres du jardin ». Mais cette liberté n'est pas illimitée : elle doit s'arrêter devant « l'arbre de la connaissance du bien et du mal », car elle est appelée à accepter la loi morale que Dieu donne à l'homme. » Veritatis Splendor, 35.

 

L’homme contemporain veut non seulement manger le fruit interdit, mais surtout utiliser son noyau pour défier encore Dieu. Notons que beaucoup de sociétés actuelles, en particulier les sociétés occidentales, ont tendance à privilégier la liberté humaine, sans tenir compte de ce qui est immuable et moralement admis par tous. Loin de juger personne, la tendance actuelle ne laisse pas le choix au débat, mais à la revendication pure et simple d’un « modus vivendi » qui ne tient pas compte de la loi majoritaire ou universelle, mais de la dictature de la minorité à protéger. Le danger de cette tendance est le basculement de valeurs qui pourrait menacer l’équilibre universel au profit de la minorité et au dérèglement total. Saint Paul nous avertit de cette tendance en ces termes : « Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait. » Rm 12, 2