· 

Rencontre avec l'abbé Simon de Violet 4/5

Le Père Simon de Violet est prêtre du diocèse de Paris mais il est aussi… fils, petits-fils et neveu de paroissiens !

Nous avons eu le plaisir d’un long et passionnant entretien cet été, spécialement pour la Lettre de Tychique.

 

Après des études dans la finance, il entre au séminaire et va être ordonné prêtre le 27 juin 2020. Impliqué dans la pastorale des jeunes, notamment via le service d’aumônerie auprès des collèges et lycées, en janvier 2021, il ajoute une nouvelle corde à son arc en créant la chaîne YouTube Catholand… et ce n’est qu’un de ses nombreux talents puisque la même année, il a également peint le portrait officiel de Mgr Aupetit. Depuis, en plus de sa mission de prêtre, il prépare une Licence canonique de Théologie avec comme spécialité l’Histoire de l’Eglise.

 

La pastorale des jeunes

© Simon de Violet

Tychique

Cela nous amène au sujet de la Pastorale des Jeunes, très présente dans votre paroisse. J'imagine qu'il faut être assez courageux aujourd'hui, quand on est jeune et pas dans une famille croyante, à fortiori chrétienne et catholique, pour s’engager dans ce cheminement. Dans le même temps, nous observons une société en recherche de sens, de valeurs. L’Eglise catholique a quand même une vraie carte à jouer dans cette quête ! 

 

Père Simon

Oui, il y a évidemment un enjeu qui devrait être porté par tout le peuple chrétien ; chaque chrétien, chaque baptisé, devrait s'interroger sur sa vocation, se demander « à quoi suis-je appelé ? ». 

Vous avez parlé de recherche de sens. Cette quête est-elle plus importante aujourd'hui qu'avant ? C'est possible. Parce qu’il y a un morcellement plus intense et aussi une accélération : le monde d’avant Internet et le monde d’après Internet ne sont pas les mêmes. Il y a une dispersion plus importante et également une perte du lien générationnel - ou tout du moins une diminution de celui-ci -, laquelle va de pair avec une diminution de l'autorité ou de la façon dont on l’envisage. Une évolution également de son rapport à la patrie, à la nation. Il y avait un peu, avant, 3 « mères » : la mère biologique, la mère patrie et la mère Église. Aujourd’hui, tous ces liens sont un peu bousculés et comme une plante qui pousserait à même la pierre, sans racine, le moindre coup de soleil peut y mettre fin. Est-ce provisoire ? Je pense. 

 

C'est une opportunité pour l'Église. Mais il faut réussir à recevoir les gens qui sont dans de telles recherches, en leur expliquant également que des valeurs et du sens, il y en a partout ailleurs. L'Église n’en a pas le monopole. Des valeurs et du sens, il y en a chez les juifs, chez les musulmans, chez les athées, dans la République Française, dans la cellule familiale. Les gens peuvent même fabriquer leur propre sens ou leurs propres valeurs… ce qui est très à la mode aujourd'hui !

 

On valorise le fait qu’on s’est fait « à partir de rien » ou que l’on s’est coupé de ses racines. Ce n’est donc pas la particularité de l'Église catholique ou plus largement du christianisme. 

 

Qu'est-ce qu'une valeur chrétienne ? L'espérance, la générosité. Vous croyez que les Juifs ne sont pas généreux ? On peut même ne croire en rien du tout ou se prétendre sataniste et avoir beaucoup d'espérance. C'est très difficile de trouver une valeur chrétienne particulière. En revanche, on suit une personne, Jésus Christ et Lui, il a une vie à part ; Lui, il a une vie différente ; Lui, il a dit des choses que personne n'a jamais dites, comme d’aimer ses ennemis, un message qu'aucune autre religion ne porte, ni les juifs ni les musulmans. Le sacrifice pour le monde entier sur la croix, y compris pour ses ennemis, n'est porté par aucune autre religion. Voilà une particularité chrétienne. Mais cette particularité, elle est portée par une personne et non par une valeur.

On reçoit donc des gens qui sont en quête de valeurs ou en quête de sens et on les dirige vers une personne ; c'est un peu toute l'activité catéchétique. 

 

Dans le fond, c'est de toujours revenir au Christ, à la relation personnelle avec le Christ. « Faire du Christ un ami ». C'est un peu cliché, mais en même temps c'est très important parce que tout l'enjeu chrétien, c'est la relation personnelle, relation qui va ensuite prendre de l’ampleur avec l'Église. Cette relation personnelle avec la personne de Jésus-Christ est souvent vécue très fortement par les catéchumènes qui arrivent en paroisse. Ils sont tous exaltés, ils ont une relation sincère avec le Christ. Tout le catéchuménat consiste à leur apprendre la relation avec l'Église, c'est-à-dire la tradition, y compris morale, qui n’est pas toujours facile. La Parole d’aujourd’hui était une catéchèse baptismale qui expliquait que recevoir le baptême, c'est mettre un terme à sa vie d'avant, c’est se convertir. Ça, on ne le dit plus beaucoup mais on va y revenir.

L'Église est toujours mal à l'aise. On va baptiser des gens, mais le problème, c’est que lorsqu’ils arrivent, ils vivent en concubinage. Qu'est-ce qu'on fait ? Normalement, on ne peut leur donner ni le baptême, ni la communion, ni les confesser. On essaie alors de trouver des compromis pour les intégrer alors qu'en vérité, si l’on était fidèle à la radicalité évangélique des origines, on dirait simplement « convertis-toi, abandonne ta femme ou épouse-la ». 

C'est probablement ce qui risque d'arriver avec le temps, parce que les communautés sont de plus en plus petites, de plus en plus resserrées et de plus en plus en quête de cette radicalité. Depuis quelques années déjà, celle-ci s’affirme de plus en plus globalement. A gauche du spectre politique, on constate une radicalisation intense. On voit bien l'augmentation de la violence, particulièrement politique, les difficiles relations internationales, etc. Il ne s’agit donc pas pour l’Eglise d’aller vers la radicalité du discours pour « faire pareil » mais de reprendre un langage audible, la pureté des origines, qui implique la conversion. La première parole publique du Christ, c'est « convertissez-vous et croyez à la bonne nouvelle ». Il faut se convertir, c'est inévitable et l’on va sûrement y revenir de près ou de loin. Ces valeurs vont se transformer en une exigence réelle qui ne sera plus mise sous boisseau comme on a pu le faire dans les années 1960 à 1990 mais qui retrouvera une certaine visibilité, à condition qu'elle soit chrétienne, accompagnée par la bienveillance, le respect et l'amour de Dieu. 

 

 




Tychique

Cela nous amène au sujet de la Pastorale des Jeunes, très présente dans votre paroisse. J'imagine qu'il faut être assez courageux aujourd'hui, quand on est jeune et pas dans une famille croyante, à fortiori chrétienne et catholique, pour s’engager dans ce cheminement. Dans le même temps, nous observons une société en recherche de sens, de valeurs. L’Eglise catholique a quand même une vraie carte à jouer dans cette quête ! 

 

Père Simon

Oui, il y a évidemment un enjeu qui devrait être porté par tout le peuple chrétien ; chaque chrétien, chaque baptisé, devrait s'interroger sur sa vocation, se demander « à quoi suis-je appelé ? ». 

Vous avez parlé de recherche de sens. Cette quête est-elle plus importante aujourd'hui qu'avant ? C'est possible. Parce qu’il y a un morcellement plus intense et aussi une accélération : le monde d’avant Internet et le monde d’après Internet ne sont pas les mêmes. Il y a une dispersion plus importante et également une perte du lien générationnel - ou tout du moins une diminution de celui-ci -, laquelle va de pair avec une diminution de l'autorité ou de la façon dont on l’envisage. Une évolution également de son rapport à la patrie, à la nation. Il y avait un peu, avant, 3 « mères » : la mère biologique, la mère patrie et la mère Église. Aujourd’hui, tous ces liens sont un peu bousculés et comme une plante qui pousserait à même la pierre, sans racine, le moindre coup de soleil peut y mettre fin. Est-ce provisoire ? Je pense. 

 

C'est une opportunité pour l'Église. Mais il faut réussir à recevoir les gens qui sont dans de telles recherches, en leur expliquant également que des valeurs et du sens, il y en a partout ailleurs. L'Église n’en as pas le monopole. Des valeurs et du sens, il y en a chez les juifs, chez les musulmans, chez les athées, dans la République Française, dans la cellule familiale. Les gens peuvent même fabriquer leur propre sens ou leur propre valeur… ce qui est très à la mode aujourd'hui ! On valorise le fait qu’on s’est fait « à partir de rien » ou que l’on s’est coupé de ses racines. Ce n’est donc pas la particularité de l'Église catholique ou plus largement du christianisme. 

 

Qu'est-ce qu'une valeur chrétienne ? L'espérance, la générosité. Vous croyez que les Juifs ne sont pas généreux ? On peut même ne croire en rien du tout ou se prétendre sataniste et avoir beaucoup d'espérance. C'est très difficile de trouver une valeur chrétienne particulière. En revanche, on suit une personne, Jésus Christ et Lui, il a une vie à part ; Lui, il a une vie différente ; Lui, il a dit des choses que personne n'a jamais dites, comme d’aimer ses ennemis, un message qu'aucune autre religion ne porte, ni les juifs ni les musulmans. Le sacrifice pour le monde entier sur la croix, y compris pour ses ennemis, n'est porté par aucune autre religion. Voilà une particularité chrétienne. Mais cette particularité, elle est portée par une personne et non par une valeur.

 

 

On reçoit donc des gens qui sont en quête de valeurs ou en quête de sens et on les dirige vers une personne ; c'est un peu toute l'activité catéchétique. 

 

Dans le fond, c'est de toujours revenir au Christ, à la relation personnelle avec le Christ. « Faire du Christ un ami ». C'est un peu cliché, mais en même temps c'est très important parce que tout l'enjeu chrétien, c'est la relation personnelle, relation qui va ensuite prendre de l’ampleur avec l'Église. Cette relation personnelle avec la personne de Jésus-Christ est souvent vécue très fortement par les catéchumènes qui arrivent en paroisse. Ils sont tous exaltés, ils ont une relation sincère avec le Christ. Tout le catéchuménat consiste à leur apprendre la relation avec l'Église, c'est-à-dire la tradition, y compris morale, qui n’est pas toujours facile. La Parole d’aujourd’hui [1] était une catéchèse baptismale qui expliquait que recevoir le baptême, c'est mettre un terme à sa vie d'avant, c’est se convertir. Ça, on ne le dit plus beaucoup mais on va y revenir.

L'Église est toujours mal à l'aise. On va baptiser des gens, mais le problème, c’est que lorsqu’ils arrivent, ils vivent en concubinage. Qu'est-ce qu'on fait ? Normalement, on ne peut leur donner ni le baptême, ni la communion, ni les confesser. On essaie alors de trouver des compromis pour les intégrer alors qu'en vérité, si l’on était fidèle à la radicalité évangélique des origines, on dirait simplement « convertis-toi, abandonne ta femme ou épouse-la ». 

C'est probablement ce qui risque d'arriver avec le temps, parce que les communautés sont de plus en plus petites, de plus en plus resserrées et de plus en plus en quête de cette radicalité. Depuis quelques années déjà, celle-ci s’affirme de plus en plus globalement. A gauche du spectre politique, on constate une radicalisation intense. On voit bien l'augmentation de la violence, particulièrement politique, les difficiles relations internationales, etc. Il ne s’agit donc pas pour l’Eglise d’aller vers la radicalité du discours pour « faire pareil » mais de reprendre un langage audible, la pureté des origines, qui implique la conversion. La première parole publique du Christ, c'est « convertissez-vous et croyez à la bonne nouvelle ». Il faut se convertir, c'est inévitable et l’on va sûrement y revenir de près ou de loin. Ces valeurs vont se transformer en une exigence réelle qui ne sera plus mise sous boisseau comme on a pu le faire dans les années 1960 à 1990 mais qui retrouvera une certaine visibilité, à condition qu'elle soit chrétienne, accompagnée par la bienveillance, le respect et l'amour de Dieu. 




Tychique

Et qu’en est-il alors de ces jeunes adolescents ou jeunes adultes, qui viennent spontanément aujourd’hui ? Y-a-t-il un dénominateur commun dans leur démarche ? Comment peut-on aller chercher des jeunes aujourd'hui ?

 

 

Père Simon

C'est une question vraiment complexe. L'Église ne prétend pas avoir la solution parfaite ; chaque année, de nouveaux programmes sont mis en place, de nouvelles propositions faites selon les publics. A Paris, il y a le vicariat enfance-adolescence. Aucun vicariat depuis la création du diocèse de Paris vers l'an 250 n'a eu la réponse ultime et parfaite pour attirer à l'Évangile des catégories d'âge spécifiques. Il y a bien sûr des techniques spéciales que l'on connaît. On essaie, comme faisait le Christ en s’abaissant vers les pécheurs et les prostituées, de se mettre au niveau de ce que vivent les jeunes, que ce soient des adolescents ou des jeunes adultes. Au niveau global, on remarque tout de même que, quel que soit le profil - enfance, adolescence, jeune adulte -, il y a plutôt une baisse générale dans les aumôneries, même si les chiffres en matière religieuse sont toujours en dents de scie. Il n’y a qu’à voir la messe du 15 août que j’ai concélébrée ici. Le nombre d'enfants dans l'assemblée était vraiment marginal.

 

Guillaume Cuchet, dans son livre « Comment notre monde a cessé d’être chrétien » - un excellent livre que je recommande -, explique cette chose incroyable que je n'imaginais même pas. De manière un peu schématique, il note que dans les années 1950, il y avait sur les bancs des églises plus d'adolescents que d’adultes et plus d'enfants que d'adolescents. Assez difficile à imaginer pour nous maintenant ! En partie lié au Baby-boom certes, mais pas uniquement. La pyramide s'est totalement inversée. Il y a beaucoup plus de cheveux blancs, de personnes du troisième âge ou du quatrième âge dans nos églises que de quinquagénaires qui sont, eux, très absents. Et je ne parle même pas des trentenaires et des quadras qui sont la catégorie qu'on voit le moins. Il reste quelques adolescents souvent un peu poussés par leurs parents et des enfants qui accompagnement leur famille. Cela dit, on remarque qu’il y a des changements particuliers, par exemple des enfants qui ne sont pas forcément portés par leurs parents, lesquels ne sont souvent pas pratiquants. Les enfants ne vont pas convertir leurs parents mais les initier à la foi chrétienne. 

 

C'est un schéma qui va probablement s'amplifier et se répéter, parce qu’il y a eu une perte croissante de la transmission depuis les années 1960 avec, pour synthétiser, un déficit majeur chez les enfants nés entre les années 60 et les années 80, les parents aujourd'hui. Dans les années 80, il y avait donc déjà une réelle difficulté dans la transmission de la foi. 

 

On se retrouve aujourd’hui, souvent, avec des enfants qui viennent nous voir car ils aimeraient demander le baptême et ils tiennent quasiment par la main leurs parents qui ne comprennent pas trop d'où cela leur vient.

Presqu’à chaque fois que j'accompagne un camp, un jeune, un enfant ou un adolescent vient me voir avec des questions sur ce domaine qu'il découvre. Il n’y a eu aucune transmission car les parents, pleins de bonnes intentions, affirment préférer le laisser choisir. Sauf qu’on ne peut absolument pas poser un choix si on n'a pas l'éducation qui permet de peser ce choix. Ça ne sert à rien de dire « je veux le laisser choisir » si on n'offre pas à l'enfant une éducation chrétienne via le catéchisme, puis l'aumônerie. Je ne dis pas que l’aumônerie catholique peut répondre à toutes les questions, loin de là, et ce que l'on propose aujourd'hui a ses limites (exactement comme c'était le cas dans les années 60, 70, 80), mais c'est une forme d'initiation qui permet de se rapprocher d'une connaissance favorisant le rapport relationnel avec le Christ, but ultime. Pour nous qui sommes catholiques, ce rapport relationnel, c'est la messe, et tout ce que l'on fait en pastorale, quel que soit l'âge, c'est pour permettre d'augmenter la pratique de l'Eucharistie. L’Eucharistie, comme dit le Concile Vatican II, est « source et sommet de toute la vie chrétienne ». Tout ce que l'on fait, tant à l'aumônerie qu’au catéchisme, au Parcours Alpha ou ailleurs, c'est pour permettre cette pratique eucharistique qui manque réellement et cruellement aujourd'hui.

 

C’est la messe qu’il faut faire découvrir aux enfants grâce notamment à l'apostolat des prêtres ou des chrétiens engagés dans le scoutisme ou dans les centres de loisirs. Je suis aumônier d'un ancien patronage devenu centre de loisirs. La présence chrétienne est fort légère mais en venant au camp et en célébrant la messe tous les jours, en priant visiblement, il y a des gens qui viennent, poussés par la curiosité de découvrir quelque chose qui ne correspond pas au schéma habituel de leur vie. En février dernier, j'ai accompagné un camp de ski pendant lequel tombait le mercredi des cendres. J’ai fait une petite annonce et presque tous sont venus. Seulement une quinzaine étaient baptisés. Les autres sont donc venus sans rien connaître. Juste avec ce que j’avais pu leur dire en deux phrases… ça les a intrigués et ils sont venus voir. Je pense qu'il faut faire confiance à leur curiosité et un peu miser dessus, réussir à les attirer vers ce domaine de moins en moins connu et répandu en France dans les lieux habituels de transmission, la famille et l'école, et évidemment la République qui ne transmet pas de religieux mais dont le substrat culturel général ne l’intègre plus non plus. Ça veut dire qu’il n’y a presque plus que l'Église pratiquante qui transmet quelque chose et donc qui attise la curiosité des jeunes.

 

Il y a beaucoup de moyens possibles pour cela : internet en est un bien sûr, dont Catholand [4] et les réseaux sociaux ce qui peut être assez dynamique. Ce n'est pas le seul, loin de là. Mais cela fonctionne bien avec les adolescents ; l'Islam l’a bien compris et on remarque un essor particulièrement important depuis 2022. Dans mon quartier, le 12e arrondissement à Paris, il y a eu une forte et soudaine augmentation des voiles, des abayas, de l'habit religieux islamique et à chaque fois que vous observez avec plus d’attention, vous remarquez qu’il s’agit principalement de jeunes filles entre 16 et 25 ans. 

Quelle est la particularité de ces jeunes filles ? 

Elles sont sur les réseaux sociaux, sur TikTok, où elles suivent comme beaucoup de jeunes des comptes de  prédicateurs musulmans souvent improvisés qui leur disent qu’il faut porter l’abaya, le voile pour telle et telle raison. Cela a une influence plus importante dans certaines religions que dans d'autres, parce que, dans le catholicisme, on a moins l’habitude d'être aussi directif. Sans doute faudrait-il l'être davantage ? Dans l'islam, dans le judaïsme et dans le protestantisme, on est souvent bien plus directif. 

 

Le catholicisme contemporain aime bien se contempler comme une religion de liberté, de la liberté des enfants de Dieu. Chacun doit choisir en son âme et conscience. Mais, j’ai constaté que les questions que nous posent les jeunes sont souvent extrêmement directives. Au Frat, par exemple, un événement important en Ile-de-France, un jeune dont l’intérêt pour la religion était assez récent m’a demandé si on avait le droit de manger de la viande le vendredi. Il attendait une réponse simple… oui ou non, et pas une explication à rallonge telle que nous sommes souvent tentés de le faire. Cette tendance nouvelle nous vient autant de l'islam que du protestantisme, qui est aussi en forte croissance. Si on regarde les différents chiffres de l'immigration sortis en mars 2023 [5] dans une étude très complète de l’Insee, on remarque que la part des chrétiens protestants est passé de 9% à 20% par rapport à la dernière étude d’il y a environ 10 ans. Parmi les personnes qui ont accepté de répondre – nous parlons bien sûr d'immigration légale - 42% se déclarent musulmans. Je pensais, à tort, que cela représentait 90 %. Pas du tout, 42% de musulmans et 30% de chrétiens. Dans ces 30%, on dénombre 10% de catholiques et 20% d'évangéliques et de protestants. Cela veut donc dire que tout le schéma religieux français se transforme. Alors évidemment, cela occulte une partie des migrants, qui pour les clandestins pourraient être beaucoup plus massivement musulmans que chrétiens, mais ce n'est pas sûr et on n’a pas de chiffre du tout là-dessus. 

 

Tout cela pour dire qu'il y a une nécessité pour l'Église de changer un peu. 

Non pas le fond de son discours car c'est toujours le même depuis 2000 ans, mais dans la forme. Comment s'adapter à un public qui se détourne de l'autorité parentale pour avoir des réponses ? Qui fait peu de cas de l'autorité de l'école, comme cela nous est trop souvent prouvé et qui ignore en général l'autorité de l'État, c’est-à-dire la Police ou du moins s’en méfie, comme on l'a vu ces dernières années et ces derniers mois. Ils cherchent une autorité ailleurs, dans des figures de grands frères ou grandes sœurs, sur les réseaux sociaux ou ailleurs. 

L'exemple de la vie devient premier, c'est-à-dire que ce n'est plus tellement l'enseignement particulier, mais l'enseignement en cohérence avec ce que l'on vit. Les nouveaux moyens d'expression ont donc certainement leur place là-dedans, même s’ils sont sans doute moins dynamiques pour les catholiques que pour les musulmans et les protestants. 

Pour les jeunes adultes, c'est aussi une question qui se pose. J’ai tendance à constater que l'adolescence s'étale de plus en plus. Quand je vois les jeunes qui nous ont accompagnés aux JMJ, nous n’avions qu’une seule mineure… de 17 ans ½ ! 99% d’entre eux étaient donc majeurs, pour l’essentiel entre 18 et 23 ans et jusqu'à 30-35 ans. Ils ont beaucoup de vestiges de l'adolescence, dans leur expression orale, leur gestuelle, dans la relation les uns avec les autres. Ils ont cette forme de spontanéité, de générosité, touchante et naïve aussi… des stigmates de l'enfance. Ils ont besoin qu’on leur parle de la manière la plus claire possible. Il faut leur faire comprendre que ce que l'on dit est motivé par une révélation religieuse. On reçoit quelque chose que l'on transmet à notre tour. C'est notre religion et cela transparaît dans nos actes, nos propos, nos convictions. Cela ne veut pas dire que ça ne s'explique pas du tout, mais ça s'explique jusqu'à une certaine mesure et donc la réponse qui va être de plus en plus importante ou de plus en plus efficace à mon avis peut être : « c'est comme ça, c’est écrit ».

Paradoxalement, le catholicisme a tout le temps été attaché, et surtout à partir du siècle des Lumières, à justifier tout ce qui était dit et à beaucoup raisonner ; c'est un peu une spécialité catholique ! Depuis Saint Thomas d‘Aquin, et même bien avant avec les pères de l'Église, on réfléchit la foi, à la différence de l'Islam qui affirme de manière indiscutable. Le catholicisme n'est pas et ne sera jamais comme ça, même si, selon moi, il devrait tout de même l’être un peu plus, en mode « c'est notre Révélation ». La religion, c’est un tout ; on ne fait pas son tri en ne conservant que ce qui nous convient – c’est la définition de l’hérésie, péché grave. Cela peut aussi être une forme de langage plus adaptée à ce début de XXIe siècle alors que précédemment on avait un peu trop tendance à noyer le poisson. Je pense que les gens avaient déjà besoin, à cette époque-là, de réponses claires et qu’à force de leur donner des réponses trop diluées, ils ont décroché… mais l’avenir aidera à voir qui a raison.

 

 




 Tychique

Un peu dangereux ça… Peut-être qu’en effet, les jeunes recherchent cette rigueur mais justement, beaucoup d’entre nous sont très axés sur la liberté de la foi, de la pensée, ce qui est justement la beauté de notre religion : savoir que l’on est complètement libre. Cette liberté ne peut-elle pas être plutôt un vrai élément de différenciation par rapport à d’autres religions ?  

 

Père Simon

C’est bien évidemment une question d'équilibre à trouver : d'un côté, la liberté importante, d'un autre côté, et c'est tout aussi important, éviter qu'elle ne devienne une idole. 

Dans sa première lettre, Saint Pierre nous dit « Soyez des hommes libres, sans toutefois utiliser la liberté pour voiler votre méchanceté : mais soyez plutôt les esclaves de Dieu. » (1Pi 2, 16). C'est quelque chose d'essentiel parce que ça nous aide à comprendre la liberté chrétienne et son paradoxe : elle se trouve dans « l'esclavage à Dieu » et j'utilise ce mot à dessein, même si c'est un mot choquant, mais c'est important de l'entendre.

En grec, on parle de « Doulos », c'est-à-dire, « voici l'esclave du Seigneur ». Et Saint Paul, dans ses lettres, se présente en disant, « esclave de Jésus-Christ ». Comprenez bien ce que cela veut dire : il n'y a plus de clé, ou plutôt on l’a remise, pour le restant de sa vie, entre les mains de Dieu.

« Entre ses mains » est la vraie liberté chrétienne. C'est tout son paradoxe. La liberté est de se remettre entièrement entre les mains de Dieu. C'est la figure du martyre, par exemple, qui va accepter d'aller jusqu'à donner sa propre vie. Sans avoir la certitude mathématique, si j'ose dire, de pouvoir accéder au ciel juste après, de pouvoir contempler Dieu face à face. Attention à ne surtout pas confondre liberté et libre arbitre. Il ne s'agit pas de faire ce que l'on veut. Quand on est catholique, on ne fait pas ce que l'on veut. Jamais. En vérité, ce que l'on veut faire est ce que le Christ nous commande. Le Christ dit « si vous m'aimez, vous ferez ce que je vous commande ». Il ne dit pas « ce que je vous propose », « ce que je vous suggère ». Il dit « Si vous m'aimez, vous appliquerez mes commandements ». C'est important quand même d'entendre ça.

 

Quel est le premier commandement du Christ ? C'est « faites ceci en mémoire de moi », C'est « mangez en tous, buvez-en tous ». C'est donc...  « Allez à la messe » ! C’est très important et on ne le dit jamais assez. La foi chrétienne, l'Evangile lui-même a commencé à être écrit autour du récit de la Passion. Ce sont 4 jours qui ont eu lieu et qui ont changé la face du monde. Le premier commandement c'est « pratique la foi », « va à la messe ».

Guillaume Cuchet, dans son livre, « Comment notre monde a cessé d’être chrétien » défend la thèse que ce n'est ni mai 68 qui a écarté les chrétiens de l'Église ni l’encyclique du Pape Saint Paul VI, Humanae Vitae en juillet 68 qui affirmera le rejet de la contraception - ce qui est toujours la position de l'Église. Selon Guillaume Cuchet, les gens ont commencé à cesser de pratiquer quand les curés, les prêtres et les évêques ont commencé à sortir de ce qu'il appelle « l'obligation de la pratique de la messe sous peine de péché mortel ». Il repère cette évolution vers 1963-65. Avant, on disait qu’il fallait aller à la messe tous les dimanches et aux messes d'obligations, sinon c’était un péché mortel. On a cessé de tenir ce discours après le concile parce qu’on souhaitait changer de perspective, qu'on était dans une époque différente et qu'on voulait essayer autre chose. C'est l’Aggiornamento du Pape Saint Jean XXIII. On a pensé qu’il s’agissait de « détails » de forme. L’auteur nous montre, chiffres à l'appui, que cela a en fait changé beaucoup de choses, au point que dans les années 70, l'archevêque de Paris constate déjà une baisse considérable de la pratique. En cessant ce discours, on a mis en avant ce que l’on a présenté comme d’autres formes de pratique : la charité, l'aumône, le rapport à l'autre, la vie chrétienne exemplaire, l'éducation des enfants, le mariage, l’engagement politique ou humanitaire, etc. On a commencé à mettre l’Eucharistie un peu de côté en arrêtant de parler de péché mortel qui semblait contraindre les gens. En fait, on s'est rendu compte que c’est le contraire qui s’est produit. Les gens ne l’ont plus entendu et ne sont plus venus à la messe, tout simplement, et de plus en plus. 

 

Aujourd'hui encore, c'est un péché mortel de ne pas aller à une messe d’obligation. C'est toujours l’enseignement de l’Eglise, mais on ne le redit plus parce qu’on trouve que ce vocabulaire pourrait être mal reçu. Les personnes d'un certain âge, qui ont vécu le concile ou l'après-concile, sont toujours sensibles à ce vocabulaire ; et c’est d’ailleurs plutôt une majorité de personnes âgées que l’on va trouver dans les pratiquants messalisants. Les jeunes sont beaucoup moins sensibles à cela. Ils veulent qu'on leur dise les choses de façon très claire et très simple.

 

 

Je termine avec une formule importante de Saint-Paul sur la liberté, « Vous, frères, vous avez été appelés à la liberté. Mais que cette liberté ne soit pas un prétexte pour votre égoïsme ; au contraire, mettez-vous, par amour, au service les uns des autres. » (Ga 5, 13). C’est encore une phrase importante qu’on ne cite pas assez.

 

La liberté, c'est le choix, c'est la volonté, ce n'est pas le fait de faire ce que l’on veut quand on veut, surtout pas. Il faut pousser les gens à fuir ce qui est un frein à la liberté, c’est-à-dire, selon Saint Paul, l'égoïsme et selon Saint Pierre, la méchanceté. On a trop souvent et trop longtemps poussé la liberté dans une sorte d'absolu, alors qu’il n'y a aucun autre absolu dans la foi chrétienne que la vie éternelle. Même la vie n'est pas un absolu puisqu’on peut la donner dans le martyr. 

Dieu est parfaitement libre et nous aimerions bien être comme lui. Mais Dieu est la liberté absolue parce que rien ne le contraint, qu'il est tout-puissant, omniscient. De notre côté, la liberté peut très, très vite être pervertie parce que nous sommes pêcheurs. Nous essayions tous d'avoir une forme de liberté. C’est d’ailleurs un des premiers piliers que l’on aborde lors des préparations au mariage. La liberté est cruciale puisque sans elle, le mariage est nul. Il n’est pas question de dire que ce n’est pas important. Mais nous sommes pêcheurs et pécheresses ce qui veut dire que notre liberté, quoique réelle en Dieu, est aussi pervertie parce qu'elle est sous influence du mal, de Satan, sous « l’influence du monde », selon l'expression de Saint Jean. 

Aujourd’hui, qu’est-ce que la liberté selon le monde ? C'est l'euthanasie, l'Église est contre. C'est l'avortement, l'Église est contre. C'est le divorce, l'Église est contre. Donc non, la liberté n’est pas quelque chose qui doit forcément être automatique. La définition morale de la liberté chrétienne, c'est « le choix entre deux biens », pas le choix entre le bien et le mal, car le mal enchaîne toujours, le péché enchaîne toujours. Il faut se libérer de ces chaînes. Souvenez-vous : « esclave de Dieu », c'est Dieu qui a la clé. Ça ne veut pas dire absence de liberté évidemment, il en faut toujours et le travail du prêtre et du chrétien, c'est de toujours veiller à ce que chacun des actes soit bien fait dans la liberté, la liberté réelle, pas la liberté mondaine. 

 

C'est pour cela que lorsqu’un jeune vient nous voir avec une question, il ne faut pas faire trop vite confiance à son discernement parce qu'à 10 ans, on n'a pas ou peu de discernement. Mais il faut l'accompagner activement dans sa liberté. C'est lui dire « oui, tu vas faire ta première communion et Dieu t’aidera à devenir libre » et non pas « oh, si tu veux… qu'en pensent tes parents ? Est-ce que tu en as vraiment envie ? »… Cette dernière est certainement la pire des phrases ! Comme si l'envie avait quelque chose à voir là-dedans ! Non, il faut vraiment accompagner la liberté avec autorité, pas l'autorité cléricale qui écrase ou domine, mais l'autorité du Christ, l’autorité de Saint Pierre et de Saint Paul.

 

On a donc une liberté qui est essentielle, c'est une liberté chrétienne et il faut être très prudent à pas la teinter d'une mondanité qui irait au contraire la désamorcer.  

 

À Paris, en 1792, sur les murs de Notre-Dame, on taguait « la liberté ou la mort ». Ce n’était pas la liberté, c'était la mort. Cette liberté était une mort parce qu'on envoyait notamment des prêtres et des religieuses à la guillotine. Une liberté peut être une anti-liberté. Il faut être pour la liberté, mais la liberté telle qu'elle est vécue dans l'Église, celle qui vient du Christ, qui dit : « l'Esprit vous rendra libre » (Jn 8, 32). Il faut une liberté, mais dans l'Esprit Saint. Et ça, c'est difficile. Le travail du catéchiste, le travail du prêtre ou du chrétien pratiquant, c'est une éducation à la liberté. C’est très difficile parce qu'on a des gens qui vivent des vies éloignées de l'enseignement traditionnel de l'Église et il faut les éduquer, mais à leur niveau. C’est ce que Saint Paul disait « C’est du lait que je vous ai donné, et non de la nourriture solide ; vous n’auriez pas pu en manger, et encore maintenant vous ne le pouvez pas » (1Co 3, 2). Il y a des adultes qui ont des dents de lait et on ne va pas leur donner de gros steak en leur disant « ne fais pas ci, ne fais pas cela » parce qu'en fait, cela les écarterait de l'Evangile. A l'inverse, les enfants, eux, sont plus réceptifs. Il faut leur donner très vite le message de l’Evangile et de la morale de l’Eglise dans toute son amplitude pour qu’ils puissent ensuite avoir des clés pour apprivoiser cette la liberté qu'on essaie tous de vivre. 

 

Où est le bien ? Où est le mal ? C'est la question éternelle, et particulièrement pour les chrétiens, même les judéo-chrétiens. L'arbre de la distinction entre le bien et le mal auquel on ne peut toucher puisque seul Dieu sait où est le bien et où est le mal. 

Si on était de bons chrétiens, on se poserait cette question en nous appuyant uniquement sur l'Ecriture et sur la Tradition portées par l'Église catholique. C'est souvent difficile pour chacun d’entre nous, moi y compris, de toujours savoir où est le bien et ou le mal. J'ai besoin de m'appuyer sur l'Ecriture et la Tradition, sur le magistère de l'Église car je ne peux pas y arriver tout seul. On est sauvés par le baptême, mais il ne faut pas tout de suite revenir croquer la pomme… si possible !




 Tychique

On a vu se développer de grands principes éducatifs prônant le fait de faire confiance à l’enfant, de l’amener à prendre ses décisions par lui-même, à faire ses propres choix sans rien lui imposer etc. Lui laisser une liberté absolue sans garde-fou…, cela peut facilement devenir assez dangereux. On arrive aujourd’hui à une société qui s’étiole de plus en plus avec une génération dont certains sont perdus jusqu’à ne plus savoir s’ils sont « il » ou « elle ».  Or, vous dites que les jeunes qui viennent vous voir et vous poser des questions, ce qu’ils veulent, c'est vraiment un cadre, une vraie réponse et pas cette « liberté du vide » mais une liberté structurée qui s'appuie sur quelque chose de solide.  

 

 

 Père Simon

Ce qui est étonnant c'est de leur dire « l'avenir est au passé », parce que, contre toute attente, on revient, notamment pour l’éducation, à des principes qui ont été ceux des années 60/70, mais de manière plus radicale. 

Vous avez raison de parler de liberté du vide. Le wokisme est une réaction contre la structure alors même que ce mouvement est lui-même structuré par des dogmes et des usages très rigides ; c’est paradoxal... mais il y a aussi cette idée que la liberté serait un concept purement culturel, ce qui est faux même si le rapport à la liberté peut dépendre de l’histoire. Pour qu'un arbre puisse grandir, il a besoin de grosses racines et donc même dans la nature, on voit bien qu’il y a une structure pour toutes choses, une structure moléculaire, une structure ADN. Un corps humain sans structure ne serait plus qu'une flaque, l'univers a une structure… Cette tendance woke a tenté de déconstruire la structure en cherchant très activement des éléments dans la nature pour soutenir leur idéologie, ce qu’ils ne trouvent pas vraiment. La structure est un élément qui existe dans la culture parce qu'il existe d'abord dans la nature, ce n’est pas quelque chose qui a été a inventé comme ça, à partir de rien. La rivière est bordée de pierres qui lui permettent de ne pas sortir de son lit sans quoi il n’y aurait pas de liberté pour les poissons, sa structure permet que la vie s'y développe, pour que les ours viennent y pêcher leur nourriture, etc. Il y a une structure pour toute chose, sinon la vie ne peut tout simplement pas se déployer. C'est exactement la même chose pour la liberté. 

 

 

  

Je reviens donc sur cette notion de liberté du vide, ce vide que l'on met de façon criminelle, parfois, devant les enfants, les laissant jusqu'à décider leur propre genre alors que, dans certains cas, ils n'ont pas atteint la puberté. On fait une erreur fondamentale parce qu’on les jette dans le vide. Certains vont plonger car il y a un côté confortable, un peu comme lorsqu’un enfant saute dans une piscine à balles. On flotte et cela donne un petit vertige amusant. Mais parfois, ce vertige donne peur et à ce moment-là, les enfants viennent voir les adultes pour chercher des explications et un réconfort. Quand l'enfant arrive avec une question, que ce soit vers un catéchiste ou vers n'importe quel représentant de l'autorité, c'est qu’il a ressenti ce vertige de la liberté et que ça ne lui convient pas parce qu'il est en construction comme tous les enfants, comme tous les adolescents. Et quand on est en construction, on a absolument besoin de structures et de cadres. Saint Jean-Paul II parlait dans une de ses encycliques de « structures du péché » [6] , un environnement qui va favoriser l'apparition ou le développement de péchés personnels ; par exemple, « je vais voler parce que je suis dans un pays qui pratique des prix extrêmement élevés et qui ne donne aucune aide pour les gens qui n'ont rien » ou « je vais être anticlérical, parce que toute la République avec ses différentes affaires, le scientisme, le positivisme, la franc-maçonnerie, toute cette culture du péché m’y conduit ». Ou encore, « je vais accepter l’avortement, qui est pourtant un péché grave qui peut entraîner l’excommunication immédiate, parce que la société politique et médiatique fait pression pour le célébrer. »

 

C'était beaucoup plus facile d'être anticlérical en 1905 qu'aujourd'hui ; aujourd'hui, il n'y a plus de clercs ni de culture chrétienne et donc, de fait, c'est difficile d’être anticlérical… C'était beaucoup plus facile en 1905 parce que les clercs étaient nombreux et partout présents. On peut presque comprendre une certaine irritation liée à un trop-plein. 

Il y a eu aussi une très grande violence anticléricale au moment de la Commune à Paris, parce qu’on sortait de 20 ans de régime clérical ou ecclésial assez favorisé par le régime politique de Napoléon III, le Second Empire ayant beaucoup favorisé la construction d'églises, dont certaines ont été brûlées à Paris lors de la Commune.

 

Mais revenons à la liberté. C'est certain qu’il y a un vertige que les enfants ressentent. Quand on grandit, on est en construction et on a besoin de quelqu'un pour vous dire « ça, oui, ça non ». Ils ont d'abord besoin des parents mais aussi et surtout de ceux qui représentent la seconde parentalité, c'est-à-dire les guides :  l'État, les ministres, les professeurs, les sociologues, les philosophes, tous ceux qui portent un peu cette espèce de humus, ce qui fait un peu la terre du XXIe siècle, et bien sûr, les médias, qui colportent aussi les fausses nouvelles ou certaines un peu travesties ou idéologisées, etc. Il y a un vrai désir, à ne pas rater, chez les jeunes d'avoir une structure parce qu'en fait la structure, les règles, rendent vraiment libre. 

 

C’est pareil dans la foi. On parle du canon des Écritures. Le canon en grec c’est la règle au sens littéral, celle qui permet de mesurer. Et la foi a une « dimension » très précise, elle va « jusque-là », et à ce moment-là on est catholique. Si l’on est très libéral, un peu soixante-huitard et que l’on rejette certains dogmes avec lesquelles on n’est pas d’accord ou auxquelles on ne croit pas, eh bien, on n’est pas catholique. C’est encore aujourd’hui la définition de l’hérésie dans le Code de droit canonique (canon 751). Et puis si on est beaucoup plus zélé que la moyenne, on n’est pas catholique non plus, parce qu'on va trop loin. Le canon, c'est la règle et la règle a une limite claire. Sinon, ce n'est plus une règle. 

C'est pareil pour toute la vie morale, pour les jeunes, pour les adolescents. 

 

L’Église est extrêmement mal à l’aise aujourd’hui avec cette question de transidentité, cette problématique du genre portée par le courant Woke. En premier lieu, parce qu’elle ne maîtrise pas du tout ce discours volontairement très technique et obscur, avec un vocabulaire qui lui est propre et une vraie méthode, quoiqu’en disent les apparences. L'Église se sent visiblement assez dépassée. Et puis le wokisme lui-même évolue considérablement. Les wokistes sont souvent dépassés par des plus wokes qu’eux. Régulièrement, ils préfèrent se taire et s'autocensurer plutôt que d'être traité de fascistes parce qu’ils ne sont pas d'accord avec telle dernière nouveauté sur la transidentité. 

 

L'Église est très loin de tout ça et pas spécialiste de sexualité. Comme le disait le Cardinal Lustiger « Nous ne sommes pas des obsédés sexuels » [7]. C'est-à-dire que le message de l'Église, ce n’est pas la sexualité, le message de l'Église, c'est l'Evangile du Christ et en conséquence, la vie morale et dans une petite partie de la vie morale, la vie affective et sexuelle. Nous ne sommes pas spécialistes de la transidentité et nous n’avons pas grand-chose à dire si jamais quelqu'un vient nous en parler. Personne d’ailleurs n'est vraiment expert et cette toute petite minorité que représentent les wokistes vont en tirer avantage pour imposer leur vision. L'Église est donc plutôt mutique sur cette question, par prudence et aussi parce qu’elle pourrait être accusée extrêmement vite des mots les plus terribles du XXIe siècle si jamais elle prenait position ouvertement y compris en en citant simplement l'Évangile. Pour l’instant, ce qu’il convient de faire, c’est de tenir avec autant de charité que possible.

 

[1] Interview réalisée le 18 août 2023

[4]  Il s’agit de la Chaine YouTube du Père Simon de Violet.

[5] https://www.insee.fr/fr/statistiques/6793391 

[6] Encyclique Sollicitudo Rei Socialis 1987 

[7] 24 août 1997, Journal de 20h – France 2 

 

Suite et fin la semaine prochaine...