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Rencontre avec l'abbé Simon de Violet 5/5

Le Père Simon de Violet est prêtre du diocèse de Paris mais il est aussi… fils, petits-fils et neveu de paroissiens !

Nous avons eu le plaisir d’un long et passionnant entretien cet été, spécialement pour la Lettre de Tychique.

 

Après des études dans la finance, il entre au séminaire et va être ordonné prêtre le 27 juin 2020. Impliqué dans la pastorale des jeunes, notamment via le service d’aumônerie auprès des collèges et lycées, en janvier 2021, il ajoute une nouvelle corde à son arc en créant la chaîne YouTube Catholand… et ce n’est qu’un de ses nombreux talents puisque la même année, il a également peint le portrait officiel de Mgr Aupetit. Depuis, en plus de sa mission de prêtre, il prépare une Licence canonique de Théologie avec comme spécialité l’Histoire de l’Eglise.

 

Les réseaux sociaux, une nouvelle voie pour l’évangélisation ?

© Simon de Violet

Tychique

Vous parlez de la notion de « guides ». Or, aujourd'hui, les réseaux sociaux, le net semblent prendre ce rôle pour beaucoup de jeunes en étant leur source d'information prioritaire. Vous nous parliez également du développement de l'islam par les réseaux. Vous vous êtes également lancé sur ce nouveau canal d’évangélisation. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ? 

 

Père Simon

C'est une période intéressante à vivre. Avec le Covid et plus encore le confinement, les gens ne savait pas trop quoi faire et avaient du temps. Les prêtres aussi et donc beaucoup se sont mis sur les réseaux. C'est ce que j’ai fait également et très humblement avec Catholand. 

 

Il y a 2 approches pour l'évangélisation sur des réseaux : d'un côté l'enseignement pur et simple – ce qui est l’approche de Catholand [1] – avec un support audiovisuel qui peut ensuite servir en aumônerie pour creuser un sujet. Pour l’avoir expérimenté plusieurs fois, le duo « vidéo puis partage » est un format qui fonctionne bien en aumônerie. On va donc au-delà d’un usage réservé aux réseaux sociaux, lesquels deviennent alors plutôt des chaines de contenu. De l’autre côté, ce sont des réseaux d'influenceurs comme notamment le Frère Paul Adrien [2] avec des choses très intéressantes et très bien travaillées, mais il est beaucoup dans le côté influence. Il fait d’ailleurs l’analyse qu’un réseau social devient important ou intéressant à partir du moment où on s'attache à la personne par sa personnalité, un visage expressif, une voix sympathique ou attirante, une manière de présenter les choses etc. Le frère Paul Adrien est comme cela. Il est expressif, dynamique, il fait des blagues et il donne son avis sur l'actualité, ce qui est le propre de l’influenceur. 

 

Catholand ne fait pas tellement cela parce qu‘à mon sens, cela desservirait le but catéchétique de la chaîne. Il s’agit ici de délivrer du contenu et chacun ensuite, avec son talent propre, va en faire ce qu’il veut. C'est pour ça qu'il n’y a pas beaucoup d'abonnés sur Catholand (3 500 [3] ) et qu’il y en a plus de 200 000 [3]  sur la chaîne du Frère Paul Adrien.  Il l’explique d’ailleurs très bien dans l'interview que j'ai eu l’occasion de faire avec lui : on s'attache à la personne, puis on s'attache à ce que dit la personne, puis on s'attache éventuellement à l'Eglise, ce qui est évidemment le pas le plus difficile.

 

Alors que l'aumônerie c’est le contraire : l'Église vous envoie à l'aumônerie, puis une fois que vous êtes à l'aumônerie, vous avez l'enseignement, puis une fois que vous avez l'enseignement, éventuellement vous vous attachez à vos animateurs. Les réseaux sociaux et la catéchèse, la pastorale classique, sont complémentaires. C'est important : ils sont complémentaires.

Mais ce n’est pas sans risque, car quand on s'attache à une personne, si celle-ci part en vrille, cela fait contre-témoignage et peut être cause de chute pour les plus petits dans la foi et c’est compliqué parce que c'est très dur à rattraper. On a des influenceurs catholiques qui ont tenu des propos déplacés qui allaient parfois contre l'Evangile ou la Tradition, y compris des prêtres et des religieuses. La ligne rouge pour moi, c’est de créer la polémique et donc devenir clivant, cause de division – quand la mission de l’Eglise est de réunir. Ce sont des contre-témoignages qui font presque plus de mal que le bien qu'ils ont fait avant.

C'est très risqué pour l'Église. C'est pour ça sans doute que l’Église n’est pas experte en réseaux sociaux et que quand on y va, il faut faire très attention. Je pense même qu'il vaut mieux un excès de prudence qu'un excès de confiance. Le problème, c'est que la prudence ça ne fait pas beaucoup d'abonnés alors que le risque, ça en fait beaucoup. Si vous êtes très confiant en vous-même, vous allez avoir des abonnés parce que on va vous trouver intéressant, original, particulier etc. Or un prêtre n'a pas à être original car la chose que l’on doit porter c’est la bonne nouvelle de l'Evangile ; on ne doit pas se mettre en avant soi-même, même si on peut le faire jusqu'à un certain point pour servir la cause de l’Evangile. 

 

Je trouve que les laïcs le font beaucoup mieux. Ils ont une légitimité réelle à se mettre en avant parce qu'ils portent un témoignage personnel avant tout. Moi, en tant que prêtre, je ne porte pas un témoignage personnel, je porte une mission que l'évêque m'a donnée. J'ai un témoignage personnel, bien sûr, mais je ne le fais pas souvent parce que ce n’est pas ma mission première.

En revanche, Vatican II explique bien que la mission des fidèles laïcs, c'est de diffuser l'Evangile partout où ils vont par leur témoignage personnel. Les laïcs sur les réseaux sociaux, c'est très bien et il en faut beaucoup plus !

Les musulmans l’ont bien compris. D'ailleurs, le pape François a dit « La mission, c’est aux laïcs de la porter »[4]. Il a raison quand il dit cela. Pareil pour les réseaux sociaux. Cela aurait même plus de poids et plus d’importance si tous les laïcs, un peu pratiquants, avaient un compte TikTok sur lequel ils diffuseraient des contenus, alors que, comme prêtre, ça a un côté un peu inconfortable voire suspect. 

 

Pour le Frère Paul Adrien, c’est un peu différent parce qu'il est dominicain, ordre des frères prêcheurs, et donc lui, la prédication, c’est son apostolat [4]. Tout son apostolat donné par son prieur, c'est l'apostolat sur les réseaux sociaux. Il a donc toute une équipe pour le montage de ses vidéos, la compta, la communication, la relecture, etc. Moi, je suis tout seul. 

 

Le diocèse de Paris m’a laissé tranquille quand j’ai commencé alors que j’étais dans ma première année de prêtrise. Ils m’ont quand même un peu suivi de loin ! Mais il faut rester vigilant. Ce qu'il faut, c'est assurer une visibilité et ce que 

 

moi j'essaie de faire avec Catholand, c'est une visibilité catéchétique et audiovisuelle.  Je vais apporter beaucoup de soin à ce que l'image soit belle, que le montage soit dynamique, que les sons soient bons. Je vais aller mettre des bruitages par ci par là, car pour moi, cela sert énormément le message.

Trop souvent dans l'Église catholique, on a un peu un trésor dans des vases d'argile, un Evangile magnifique à diffuser alors les sites Internet ne sont pas très jolis et ne donnent pas envie. Or de nos jours, pour toucher des publics plus larges, il faut quelque chose d'attirant.

 

Tychique

S’adapter à sa cible n’est finalement pas un discours nouveau ! C’est ce que fait déjà Jésus ! Et c’est ce que le Pape François nous appelle à faire dans Evangelii Gaudium. On voit d’ailleurs que le Frère Paul Adrien n’adopte pas le même ton ni la même posture selon l’âge de son auditoire ! J'ai été assez « fasciné » de voir sur Discord [6] , le matin, à 7 heures, 15 jeunes connectés pour les Laudes. Soyons réalistes, dans nos églises, ce n’est pas fréquent de voir 15 jeunes présents pour les laudes, voire même 15 personnes ! Pas de decorum, pas d’esthétisme particulier… Seulement 2, 3 jeunes qui proclament à une assemblée de priants. Je trouve cela assez fort !

 

Père Simon

C’est probable qu’ils n’iraient pas forcément à l'église pour faire cela. J'aime bien la technologie et depuis le début, je suis toujours très favorable à son usage. Pour la rentrée, j'ai préparé, sur la demande d'un parent, des vidéos sur les 7 sacrements et j'ai utilisé très massivement l’intelligence artificielle pour générer des illustrations [7qui soient esthétiques et cohérentes graphiquement dans chacun des 8 épisodes (un épisode introductif, puis un par sacrement). C'est une expertise à acquérir et du temps passé… beaucoup d’heures ! Et même si ce n’est vu que 200 ou 300 fois, c’est quand même beaucoup quand on voit le nombre de pratiquants ! 

 

Il ne faut pas freiner des 4 fers sur la technologie et, comme le dit le Frère Paul Adrien, le numérique est peut-être un nouveau domaine de l’Église, où il va se développer un certain nombre de choses que les gens, avec leurs habitudes nouvelles, vont embrasser. C'est en transformation très rapide ; l'intelligence artificielle n'existait pas il y a un an en France. On a commencé à en parler en novembre 2022 avec ChatGPT. Il ne faut pas laisser ça de côté. Ça peut être utile maintenant, ça peut être utile dans 5 ans…  Les vidéos que j'ai faites il y a 2 ans sont toujours utiles, peut-être moins bien faites qu'aujourd'hui, mais les gens peuvent toujours les utiliser s'ils le veulent. Donc oui, il faut y aller et en plus c'est très intéressant et amusant créativement ! Il faut aussi dire que trouver des illustrations « modernes » et utilisables sur la foi chrétienne et catholique, ce n’est pas simple, sans compter le problème des droits. L'avantage pour l'instant de ces nouveaux outils, c'est qu’il n'y a pas de propriété intellectuelle. Ça viendra sûrement mais pour l’instant, profitons-en !

 

Tychique

Je reviens sur ce rôle des laïcs dans l’annonce sur les réseaux sociaux. Pas de craintes qu’ils disent un peu « n'importe quoi » ?

 

Père Simon

Je pense que la bonne idée serait que l’influenceur laïc soit accompagné par un prêtre. 

 

Mais déjà, c'est super s’ils y vont parce que, ça prend du temps, ça coûte de l'argent, ça a un côté frustrant parce qu’on ne fait pas un million de vues. Les réseaux sociaux catholiques français, c'est ce qu’on appelle une « niche », loin derrière les audiences faites par les réseaux catholiques anglophones portés par les vues des nord-américains. Et malgré tout, ils y vont. Il faudrait ensuite qu’ils puissent, librement c’est important, se faire accompagner, ne serait-ce que pour relire leurs textes. 

 

Il faudrait que chaque diocèse ait un petit service pour ça, une forme d’imprimatur pour les réseaux sociaux avec quelques prêtres sensibilisés à ces médias. Proposer non pas un contrôle au sens stricto sensus mais un accompagnement car on ne peut pas faire n’importe quoi, Internet reste une place dangereuse avec beaucoup d’agressivité, beaucoup de vanité aussi. Il ne faut pas que l’influenceur se place devant le message qu’il annonce. 

 

Le Catho de Service, la Pause Catho, Tanguy Lavoisier, Cathoglad sont des bons exemples de présences de laïcs sur les réseaux sociaux.

 

Les évêques devront aussi y venir car aujourd’hui, il faut être réaliste, ils ne sont pas du tout écoutés en France, à peine par les catholiques pratiquants et quelques journalistes spécialisés. Il va falloir qu’ils s’y investissent avec une ambition prudente mais franche. La pastorale va beaucoup se recomposer autour de cela, comme d’un outil pour aider, non pour remplacer. Les vidéos ne remplacent pas la pratique de la foi, l’Eucharistie. Le but des réseaux sociaux c’est d’appeler à pratiquer sa foi, pas de rester devant son écran… même si c’est déjà mieux que de ne rien faire du tout, évidemment !

 

 

[1] Il s’agit de la Chaine YouTube du Père Simon de Violet.

[2]  Frère Dominicain, avec pour ministère l’évangélisation numérique. Il est considéré, en août 2023, comme l'influenceur catholique français le plus suivi sur YouTube

[3]   6640 à ce jour sur Catholand et 354 000 pour le Frère Paul Adrien

[4]   Pape François lors d’un entretien avec les responsables du Congrès Mission, Novembre 2020

[5]   Il travaille depuis avec le Vicariat enfance, adolescence du diocèse de Paris

[6]   Discord est une plateforme permettant aux personnes ayant des intérêts similaires de partager et de communiquer. Il a initialement concerné la communauté des joueurs avant de s’étendre plus globalement parmi les jeunes. Aujourd’hui, il est utilisé en France par environ 2,3 millions de personnes. 

[7] Pour les curieux, il utilise MidJourney