par l'abbé Gad Aïna
Chers frères et sœurs dans le Christ,
On pourrait lire l’évangile de ce dimanche et le croiser avec celui du jeune homme riche. Ce dernier cherchait la lumière et la voie et quand il les a entrevues il s’est désisté et a disposé. Quant à Bartimée, il a demandé à voir, et dès qu’il a vu il a suivi Jésus.
On pourrait aussi le lire en rapport à la vue et à la clairvoyance, en rapport aux disciples qui sont avec Jésus qui leur parle de sa mort mais qui n’y voient absolument rien. L’aveugle guérit est un appel à voir, surtout de nos jours par exemple où les écrans nous empêchent de lever la tête et de voir les merveilles de Dieu, les personnes et la nature. Une autre fois, nous reviendrons sur ces aspects.
Je voudrais en revanche, vous proposer de regarder l’aveugle et son opiniâtreté dans la demande pour comprendre sa vision de Jésus et l’exemple de prière qu’il nous donne.
Voilà donc un aveugle, délaissé de tous, qui mendie pour survivre. Son sens aigu, l’amène à se poster aux portes de la ville afin d’avoir accès aux foules qui voyagent. Et il était non loin de la route. Alors soit la misère le portait au-devant du risque, soit il n’éprouvait pas de peur à s’exposer pour recevoir sa pitance. Le gueux porte un manteau, dit Marc, donc devait avoir froid. Voilà qu’une foule déferle. Le malheureux malvoyant s’enquiert autour de qui s’accumule cette foule nombreuse. L’apprenant, il s’arrête de mendier et crie « Jésus, fils de David, aie pitié de moi ». On lui a bien parlé de Jésus le nazaréen, mais lui voyait le Fils de David, appellation du messie attendu. Il lui ajoute une demande que l’on ne peut adresser à Dieu : « prends pitié de moi ». On pourrait méditer également sur les appellations de Jésus dans le texte et voir comment Marc, l’évangéliste le révèle le long du texte. Pour revenir à Bartimée, il venait d’adresser sa demande interpellatrice mais peut-être diffuse. De quoi Dieu, en effet, devait-il avoir pitié, de sa personne, de sa vie, de sa misère, de son infirmité ?
Mais alors interviennent ceux qui suivent Jésus. La foule est indistincte. Nous savons cependant que des disciples, des chercheurs de miracles, des curieux s’y trouvaient. Et comme cela peut arriver, cette figure indistincte s’attaque à notre Bartimée : le texte dit bien qu’il s’agît d’interpellations vives. Voilà donc les gendarmes de Jésus, ces personnes qui connaissent Dieu et pensent qu’il faut le protéger de nous. Cette référence à nos personnes, par-delà l’insertion sollicitée de vos personnes, est aussi une volonté personnelle que nous vivions cette histoire maintenant. En suivant Jésus, on ne devrait jamais faire écran ni à Dieu ni aux autres. Malgré cette attitude de rejet de nombreuses personnes, Bartimée ni ne s’emporte, ni ne s’arrête. Il ne rebrousse pas chemin ; il ne se décourage pas. Jésus non plus ne s’était arrêté. Poursuivant sa route, sans doute en tête du cortège, il avançait vers Jérusalem.
Bartimée persévère, sans rancune. Pour aller vers Jésus et le découvrir. Pour le trouver et se faire exaucer, ce courage sans amertume ni animosité est nécessaire. Plus on lui interdisait de parler, beaucoup plus, lui, il criait, raccourcissant son appel et le centrant sur « Fils de David, aie pitié de moi ». A chaque refus, à chaque négation, à chaque humiliation, à chaque rejet ; lui il criait plus fort « Jésus, aie pitié de moi »
Frères et sœurs dans le Christ, nous voyons bien que, plus que le silence de Jésus lui-même, ce qui éloigne de lui est notre comportement. Je veux dire celui des autres envers nous, et celui de soi-même envers soi. Une certaine contrariété qui nous pousse dans nos retranchements au lieu d’aller vers Jésus. Un refus de croire encore en soi au point de continuer à croire en Dieu. Nos contemporains ne croient en l’exercice spirituel. Nous aussi, parfois, ne donnons même plus à Dieu la possibilité d’accomplir des miracles. Nous croyons plus en la science qu’en Dieu. Nous baissons nos bras, attendu que la raison nous l’impose, le système social l’ordonne. Serions-nous prêts chaque fois que tout nous éloigne de Dieu, à crier plus fort, à devenir têtu dans la foi, à vivre obstinément et hurler jusqu’à ce que Jésus se retourne et demande que nous nous approchions de lui ?
A l’arrêt de Jésus, à son appel, la foule devient douce et avenante, voire, elle réconforte notre Bartimée puis l’invite vers Jésus. Cette ambivalence de la foule me pose une question : l’attitude du grand nombre est-elle critère de vérité ou dans ce cas-ci, de sincérité ? Certainement non. Mais l’aveugle ne se fait pas prier, il ne se détourne pas de ses nouveaux alliés pour autant. Je dirais qu’il ne les regarde pas puisqu’avant même il ne les voyait pas ! Sa réaction immédiate, sa réponse prompte à l’appel nous le montre si bien.
Laissant l’assurance de son manteau, ce recouvrement qui était son lien avec la société et l’expression de sa misère, de son manque, laissant son bol de mendiant, il bondit et courut. Comment bondir et courir quand on est malvoyant ? Voyez-vous la scène ? Sans son bâton ou son guide, l’obscurcis tâtonne, achoppe, s’égare. S’il court, c’est qu’il croit en celui vers qui il s’avance pour le recueillir. Le Fils de David est devenu son manteau ou sa protection, il est sa sécurité, sa vie. J’imagine que la trajectoire de Bartimée n’est pas droite. Marc ne dit rien quant à comment finit la course. Mais Jésus lui parle comme s’il n’avait rien compris de sa démarche. « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » j’y perçois que nous devons savoir ce que nous attendons vraiment de Dieu et y tenir.
Le mal qui nous a cloués, peut-être, les souffrances que nous avons traversées, les adversités que nous aurons surmontées, les hypocrisies que nous avons découvertes, notre élan éperdu, frères et sœurs, nous permettent-ils de savoir avec exactitude ce que nous voulons, ce que nous recherchons ?
Pouvons-nous avec évidence formuler, comme si Jésus fût devant nous, avec clarté et précision, notre besoin le plus profond ou le plus transversal. Pour le fils de Timée, « rabbouni - terme araméen pour dire rabbi - que je puisse voir ». En dehors de Bartimée, Marie Madeleine fut la seule à employer ce terme et c’était quand elle comprit que celui qu’elle voyait comme le jardinier était en fait Jésus lui-même. Jésus lui dit : « va, ta foi t’a sauvé ». Aussitôt l’homme se met à voir et immédiatement il suit Jésus au lieu de s’en aller.
Seigneur, fais-nous voir et quitter nos fausses assurances qui inhibent notre marche vers toi.
Seigneur, fais-nous savoir ce qui est important pour nous, te voir, être avec toi.
Seigneur, fais-nous saisir ce qui porte tout notre être.
Seigneur fais-nous dépasser les souffrances, les douleurs et les hypocrisies pour te rejoindre.
Et que rien ne nous sépare de toi, pas même les merveilles dont tu nous auras comblés !