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Homélie du 32ème dimanche de l'année B - 10 novembre

par l'abbé Gad Aïna

Frères et sœurs dans le Christ,

 

Je voudrais vous proposer de méditer avec vous les textes de ce dimanche à partir du don que nous fait le pauvre, et l’opportunité qu’il représente pour un croyant.

Que peut nous donner un pauvre, peut-être un sourire au plus, s’imagine-t-on, par gratitude pour le don reçu. Que peut offrir un pauvre puisqu’il n’a rien ? D’ailleurs, l’Ecriture ne dit-elle pas : ne profite pas du faible, c’est un faible, ou ne vole pas le pauvre ; n’écrase pas le malheureux sans défense, car le Seigneur plaidera leurs causes et ravira la vie de leurs ravisseurs (Cf. Prov. 22,22-23). Pourquoi alors penser à voir quelque chose que nous donnerait le pauvre ?

 

D’abord les textes nous interdisent de penser que les pauvres sont incapables de don.
La preuve : les veuves donnent plus qu’il ne faut. Elles donnent ce qu’elles ont pour vivre. Elles ne donnent pas seulement quelque chose de petit ou d’insignifiant. Dans le don de la pauvre veuve, se transmet une réalité essentielle : tout leur être. Cet essentiel établit une différence profonde d’avec un don qui proviendrait de la pitié, un don qui viendrait de la charité aisée, un don issu de la condescendance, un don qui serait l’expression de l’égo. Notre raison, en effet, achoppe normalement à ce niveau car nos considérations du don s’enlisent dans les murailles de sécurité, de responsabilité et de calcul. Que peut-nous donner un démuni ?

 

Mais avant regardons le concret de l’existence d’une veuve. La situation de la veuve est cruelle. La solitude et l’isolement meublent son quotidien. Si elle est jeune, sa stérilité était perçue comme une honte, si elle est âgée, elle est infertile, vieille et faible, elle est inutile. La veuve n’a pas de capacité patrimoniale et reste une personne en situation précaire. Si elle ne se remarie pas, ou si elle refuse le lévirat, elle retourne chez ses parents. Si elle se marie à un étranger, la famille de son époux se sent déshonorée. Pour avoir perdu son rang social, elle devient exploitable. En tant que femme seule et sans tête ou référent, il lui est difficile de se faire justice (cf. la parabole du juge inique). Que peut donner une telle personne ?

 

Pourtant, le prophète Elie a besoin d’une personne comme celle-là. Dieu en effet l’envoie vers cette femme qui n’a rien pour qu’elle prenne soin de lui.  « J’ai donné des ordres là-bas à une veuve pour qu’elle te nourrisse ». Cette femme représente le premier don fait à Elie. Dieu lui fait savoir qu’il ne mourra pas de faim. Paradoxal n’est-ce pas ? Puisqu’elle ne possède que ce qu’il faut pour survivre une journée. Toutefois pour Elie, elle est une bénédiction car c’étaient les corbeaux qui lui apportaient des restes de pain le matin et de la viande le soir. En cette veuve démunie, Elie avait la preuve que Dieu ne l’avait pas abandonné.

 

Deuxième don fait au prophète, la foi. Vous demanderez pourquoi ? Cette veuve Dieu avait déjà décidé qu’elle nourrirait le prophète. Donc cette femme qui n’avait rien était déjà bénie par le choix de Dieu. De plus, elle demeurait croyante. Elle dit : « aussi vrai que le Seigneur ton Dieu est vivant ». Comment, dans ce dénuement extrême et sans signe annonciateur de changement effectif, penser et affirmer que Dieu est vivant. Comment faire un serment par lui alors que rien ne va, que l’on est sur le point de mourir sans ressource. Elle attendait donc que Dieu comble son manque et devait l’espérer de toute son âme. 

 

Mais Dieu répond à sa prière en lui envoyant une dernière épreuve. Et elle s’exécute en disant à cet inconnu qui veut manger en premier : « je vais chercher deux bouts de bois, je ferai le pain que nous partagerons avec mon fils ». Il serait difficile de partager ce que l’on a pour vivre avec un inconnu. Pire encore, un immigré revendicateur. Il faudrait avoir une grande foi et une dose de charité que seuls ceux qui n’ont rien peuvent posséder. A cette foi répond donc la générosité de Dieu par le miracle de farine et d’huile. Frères et sœurs, on peut même affirmer que cette femme détient une foi pour deux. Dieu en effet n’a pas donné le vase de farine et d’huile à Elie mais a cette veuve en pays païen. Cette foi de la femme permet au prophète de vivre.

 

Que peut donner quelqu’un qui n’a rien ?

Le don comme vous le constatez ici, est total, ultime. Je pense à Maximilien Kolbe qui prend la place d’un prisonnier désigné pour mourir à Auschwitz. Les prisonniers mouraient déjà de faim. Que pourrait-on partager quand on ne possède plus rien ? Que pourrait-on donner quand on n’a rien ? En fait, tant que l’on possède, on peut donner du temps, de l’amour, de l’aide, de l’argent. Et déjà on trouve que c’est difficile car évidemment on tomberait dans l’indigence ! Mais quand on est indigent, le don coûte, il a la saveur de votre chair, le goût de votre sang, le parfum de votre vie. J’ajoute là encore, quand on ne croit pas, on ne peut pas. Seigneur, donne-nous la foi ! 

 

Frères et sœurs, en pareil moment, nous avons souvent envie de citer les jeunes filles sensées de l’évangile : Va au village voisin acheter de l’huile pour ta lampe ou encore va travailler, ou encore pourquoi tu ne restes pas dans ton pays ?

 

Seigneur Jésus donne-nous la foi, accorde-nous cette empathie pour prioriser un autre que nous-mêmes. Comme la veuve de l’évangile, aide-nous à t’offrir ce que tu mérites, tout, notre vie et non ce qui nous convient.

 

Amen