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Homélie pour la fête du Christ-Roi - 24 novembre

par l'abbé Gad Aïna

Frères et sœurs,

 

Nous avons dans l’évangile de ce jour, la deuxième scène du jugement de Jésus : un échange entre Pilate et lui, le condamné.

Pour entrer dans l’ambiance, il faut remarquer quelques versets plus haut que les Juifs avaient découvert à Pilate que leur intention était, non pas de le juger, mais de tuer Jésus. En vous rappelant la scène, vous remarquez aussi que les accusateurs de Jésus restent en dehors du tribunal pour ne pas se souiller afin de fêter Pâques. Ainsi donc, ils s’excluent du drame après l’avoir provoqué. Par la même occasion qui les amène à rester pur et la défendre l’ancienne Alliance, ils s’excluent loin de celui que le procès révèlera comme l’Agneau Pascal de la nouvelle Alliance.

 

Vous sentez donc que Pilate, pour conduire ce procès devient le valet, ou le coursier ou celui qui fait la médiation entre Jésus et les chefs des prêtres, ses accusateurs. En effet il écoute d’un côté et va répéter puis écoute de l’autre et revient à son point de départ en essayant d’établir un jugement. Ce balancier éclaire aussi son état d’esprit partagé et indécis. Cette scène fait également éclater son rôle de juge. Il change ainsi progressivement de rôle. En effet, le gouverneur devient le médiateur et le messager. 

 

De plus ce changement de rôle nous conduit à reconnaître que devant la manifestation de Jésus Roi, on ne peut rester indifférent. Si l’on veut préserver son monde, on en devient le pantin, oscillant entre un pouvoir dont on est devenu esclave et la vérité libératrice de toute emprise temporelle. Lorsque l’on veut affermir son pourvoir, on en devient le jouet. Vous avez perçu que dans le changement de rôle, le texte de St Jean dévoile Jésus-Roi dans le sombre tableau d’une manigance mortelle et d’une procédure haineuse certes mais surtout comment il passe d’accusé à juge et sauveur.

 

En demandant à Jésus es-tu le Roi des juifs, Pilate reprend l’accusation du dehors. Jésus le lui rappelle en sollicitant sa personne en plus de ce qu’il rapporte. On ne peut ne pas penser à la séquence de Césarée quand il questionne ses disciples : « et vous que dites-vous que je suis ? » Nous avons la sensation que même en face de la mort, l’appeler Roi lui est indifférent à Jésus si cela ne vient pas du fond du cœur ou de soi-même. Pour nous alors une interpellation s’impose : jusque dans la mort Jésus est-il roi ? Jusque dans les difficultés pourrions-nous exiger de nous-mêmes d’affirmer sa royauté avec sincérité et lucidité ?

 

Rappelons au passage que les termes Roi ou Royauté apparaissent six fois dans ce petit passage. Rappelons aussi que « roi des Juifs » est le titre des derniers rois asmonéens avant l’occupation romaine. L’expression renvoie à un pouvoir public et mondain vu l’usage compromettant des Hérode, nous pouvons soupçonner pourquoi Jésus ne veuille pas de ce titre. Néanmoins du point de vue des accusateurs, donner ce titre à Jésus étale bien la subversion de l’accusation. Jésus, descendant de David, serait en train de rétablir un royaume comme avant. Pilate l’avait sans doute compris. Puisque le gouverneur revient sur la livraison des gens de sa nation, e répétant l’accusation. Là encore, il est facile de noter qu’il est un juge tout extérieur. A son tour pour lui répondre, Jésus se désolidarise de toute liaison avec un pouvoir terrestre et mondain. 

 

L’enquête de Pilate permet à Jésus d’affirmer sa royauté. Dans l’évangile, le même mot veut dire : le royaume, c’est-à-dire le pays que le roi gouverne ; le règne, ou le gouvernement du roi ; la royauté, ou la dignité et le pouvoir du roi. Dans la réponse de Jésus à Pilate, le sens n’est pas royaume, mais royauté. Il serait par conséquent contradictoire de penser que le Royaume de Jésus n’est pas de ce monde comme si les problèmes sociaux et politiques ne lui importaient guère ou encore que la présence d’un autre monde, celui divin impliquait un éloignement de la vie des hommes. Cependant le mot laisse entendre les trois sens !

 

L’assurance par ailleurs que Pilate tenait à avoir en interrogeant : « qu’as-tu fait ? » revient comme une obsession confondue dans le « donc tu es roi ? ». Dans cette question l’hésitation se mêle à la surprise pour prendre par défaut un juge qui perd pied. Jésus a les mains liées mais demeure plus libre que Pilate qui se débat ici comme après entre la volonté de satisfaire les prêtres, le peuple, César et le service simple mais exigeant de la vérité. L’installation progressive de la vérité par Jean face à ce pouvoir inquiet fait du juge l’accusé qui se démène prisonnier de son poste. Jésus ne justifie pas plus mais le présupposé juge est inquiet. Le juge devient donc celui qui cherche non plus à définir le crime de Jésus mais plutôt celui qui cherche à saisir quelle est la royauté de Jésus, en quoi elle consiste. Et comment elle appelle tous les hommes à s’associer à ce royaume, à cette royauté.

 

Frères et sœurs,

Cet échange permet à Jésus de préciser la nature de sa royauté. Négativement d’abord : « ma royauté n’est pas de ce monde ». Il existe donc plusieurs mondes. L’origine, la nature et le fonctionnement de ce pouvoir divergent de ce que Pilate pense, connaît et expérimente. En effet Jésus n’a pas été élu ou nommé. Il ne veut pas de manifestations, de partisans, d’armes en sa faveur. Sa persuasion ne vient pas de la force. Son ascension ne procède pas de ses bailleurs ou de ses protecteurs. Alors en quoi consiste ce pouvoir ?

 

Voilà ce que Jésus affirme ensuite positivement, « je suis roi, je suis né et venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité ». Si nous joignons à son affirmation, « je suis la vérité », nous dirons qu’il est venu témoigner de lui-même. Il est un envoyé, un messager. Donc Jésus affirme dans son témoignage celui de son Père. Sa royauté révèle et communique Dieu et sa volonté de sauver tous les hommes d’un pouvoir dont ils ne peuvent se libérer par eux-mêmes.

 

Et là aussi, comme on peut le constater, Jésus sort du jugement de Pilate. S’il est témoin, il n’est plus l’accusé et s’il rend témoignage à la vérité, c’est donc la vérité qui est jugée. La vérité n’est-elle pas au-dessus de toute affaire ? Ainsi, le gouverneur romain se laisse alors juger par la vérité. A tel point qu’il essaie de s’expliquer en requérant songeur : « la vérité ? Qu’est-ce que cela ? ». Pilate ne sait pas qui est la vérité. Il se soumet cependant à cette réalité insaisissable par lui : la vérité, qu’est-ce que c’est ? S’arrêter à ce niveau prouve la limite et l’aporie de l’homme sur la vérité sans la révélation.

 

Pilate sort juste après puis pose un geste politique. Il ne justifie pas Jésus. Il n’accepte pas qu’il est la vérité au point d’y croire. Il ne récuse pas non plus les accusateurs. Il fait abstention en se privant de la vérité comme si tout cela ne le concernait point. Son geste politique est la neutralité.

Mais on ne peut rester neutre, sans conséquence, face à la vérité ?