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Homélie pour le 3ème dimanche de Carême année C - 2025

par l'abbé Gad Aïna

Chers frères et sœurs dans le Christ,

 

Cela faisait des années déjà que Moïse avait fui l’Egypte et était devenu émigré. Il s’était marié et s’habituait à la vie nomade. Il était un homme mûr et stable. C’est alors que Dieu, qui a attendu bien des années, l’appelle. Il l’appelle au moment où Moïse s’est déjà établi comme père de famille et comme berger. Le désert pour Moïse symbolise l’éloignement de sa condamnation. Le désert pour lui signifie aussi l’isolement loin du malheur de ses frères. Le désert pour lui est devenu un lieu paisible et confortable. C’est ainsi que Dieu nous attend souvent dans les déserts de notre vie, dans les aridités de nos choix dans lesquels nous nous sentons si confortablement installés. Dieu appelle donc Moïse à la mission de sa vie. En tant qu’homme mûr, il répond : « Non, je ne peux pas, je ne peux plus changer, je ne peux plus quitter cette vie ». Il répond à Dieu : « Qui suis-je moi, pour aller devant Pharaon ? » De plus, il parle des siens comme de personnes extérieures : « Bien ! Je vais aller trouver les Israélites et je leur dirai : Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous. » Il ne se perçoit pas seulement éloigné de cette mission. Il ne sent pas non plus solidaire de son peuple comme dans sa jeunesse fougueuse.

Pendant cette période si vide, Dieu s’approche de lui, se révèle à lui et le prépare pour être la main qui libère les fils d’Israël. Il lui faudra une conversion de son esprit, il quittera son milieu, ses assurances, son confort familial, pour adopter ce peuple dont il s’est éloigné et dont Dieu veut le rendre proche et le sauver. Voilà la vocation de Moïse : un exode personnel qui ouvrira à l’exode du peuple de Dieu. Le cœur et la générosité doivent demeurer intacts pour entreprendre ce chemin-là. Vous avez senti que nous parlons de la conversion, initiée comme un appel à un exode. On comprend aussi que Dieu a laissé du temps à Moïse, afin qu’il mûrisse, qu’il s’installe, qu’il soit établi et confortable, pour finalement lui dire : « Tu dois reprendre ta route. Ne stagne pas ! Avance, je t’envoie, je suis avec toi ! »

Le schéma de l’exode est utilisé par Saint Paul dans la deuxième lecture comme arrière-fond de lecture, pour repenser la conversion avant et après le baptême. Il dit en effet « Tout ce qui s’est passé là était déjà notre histoire, et nous devons nous garder des mauvais désirs qu’ils ont eus… Tout ce qu’ils ont vécu là avait valeur d’exemple, et cela a été écrit pour mettre en garde ceux qui devaient connaître les derniers temps, c’est-à-dire nous »

 

Pour sommaire, nous avons Dieu qui est patient, qui donne le temps, disons, de s’établir. Ensuite, Il se rapproche et nous appelle à quitter notre confort pour nous convertir à une nouvelle mission. Cet exode, personnel d’abord et communautaire après, ne sera pas sans écueil ni difficulté. D’autres ont accompli ce chemin et leur histoire est devant nous. Comme Moïse, à qui il a fallu du courage et de la générosité, à nous aussi, il en faudra ; il lui a fallu ne pas résister à l’appel de Dieu, nous aussi il le faudra. Car cela a valeur d’exemple, comme l’accompagnement constant de Dieu face auquel il ne faudrait pas avoir de mauvais désirs, à l’instar du peuple d’Israël remuant dans le désert. Ces éléments nous permettent de mieux saisir l’enseignement de Jésus.

 

Des nouvelles, comme les unes de nos journaux, ne relatent assez souvent, et c’est bien dommage, que des faits troublants : meurtres, inondations, guerres, attentats, crises économiques et sociales. Et quelle est souvent notre réaction ? « Ah quel malheur ! C’est triste ! Ben, qu’on arrête les responsables ! » etc… À ses contemporains, qui voulaient justifier les malheurs à la sauce de la punition divine, par une quelconque responsabilité liée au péché, Jésus demande de se pencher sur soi ! Que les malheurs des autres et les réflexions qu’ils inspirent puissent enfin nous ramener à nous-mêmes et œuvrer à une conversion véritable. Notre malheur ne serait que plus grand si la mort nous atteignait à un moment où nous n’avons pas suffisamment travaillé sur nous-mêmes. La guerre en Ukraine ? D’accord ; travaillons d’abord à créer dans nos paroisses un environnement de paix, œuvrons à tuer les conflits entre nous ! Apprenons à bâtir une société plus juste, faisons des choix politiques en faveur du bien de tous ! Un tremblement de terre, une inondation ? D’accord ; Exécutons alors des projets de transformation pour nous convertir nous-mêmes, redécouvrir notre mission et nous préparer à la rencontre avec Dieu. Si je ne gomme pas l’aide qu’on devrait apporter à ceux qui souffrent ou sont en difficulté ; si je n’annule pas l’élan de solidarité nationale comme les contemporains de Jésus exigeaient de Lui, je me permets ici d’insister en revanche sur le fait que nous profitons de ces situations, comme le rappelle Jésus, pour nous lamenter sur les autres, aller à leur secours alors que notre mal à nous est profond et intouché par nous.

 

Dieu nous donne donc le temps, comme en ce temps de carême ; il ne cherche pas la commisération sur les autres, il veut que nous nous portions des fruits de vie en abondance. Il nous appelle à cet exode personnel et communautaire, nous qui sommes si confortablement installés. Il veut les fruits de la conversion, nous qui nous apitoyons surtout sur les autres. Il nous appelle à découvrir les nouvelles missions pour nous–mêmes et pour son peuple, l’Eglise. Aurons-nous assez de cœur et de générosité ? Aurons-nous assez de courage pour quitter les sédatifs de nos conforts qui pour Dieu sont un désert, car ils ne nous aident pas à porter du fruit ? Accepterons-nous le fumier de l’appel de Dieu pour sortir de notre bonne conscience généralisée et porter le meilleur des fruits ?

 

En cette année jubilaire de l’espérance, nous avons la grâce de faire pénitence, de vivre des journées fortes, d’accomplir des pèlerinages. Voici encore un temps favorable afin d’opter pour notre survie spirituelle et bénéficier des indulgences ! Puissions-nous devenir impatients vis-à-vis de nous-mêmes pour porter les fruits selon Dieu !

 

Amen