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Homélie pour le 4ème dimanche de Carême année C - 2025

par l'abbé Gad Aïna

Frères et sœurs dans le Christ

 

Saint Paul, dans la 2è lecture dit : Dieu qui nous a réconciliés avec lui, nous a confiés le ministère de la réconciliation. On peut donc penser que tous, nous sommes identifiables à l’enfant prodigue que Dieu réconcilie avec lui. Mais je voudrais vous faire méditer sur le fils aîné et comment Dieu, symbolisé par le Père de la parabole se le réconcilie.

 

L’aîné constitue en fait les prémices de la virilité de son père. Il est celui par qui le papa est devenu père et bénéficie de ce fait d’une position privilégiée. Normalement suivant Dt 21, 15-17, il succède à son père à la tête de la famille et reçoit une double part de l’héritage. On peut donc affirmer que le père en donnant au fils cadet la moitié de l’héritage a brimé l’aîné dans ses droits. Si au retour de celui-là, il le réintègre et lui donne les pleins droits, il empiète encore sur l’héritage de l’aîné qui a collaboré toute sa vie à la croissance de la fortune de son père. Si ce point de vue révèle l’avantage et les droits du fils aîné, il nous plonge pareillement dans l’esprit de calcul des pharisiens, mentalité qui empêche d’accomplir le bien et de partager les bienfaits de Dieu. Le cas échéant, nous serions des calculateurs au point de mépriser les autres pécheurs et de mépriser Dieu lui-même pour son amour et pour n’avoir pas été le comptable des péchés des autres comme nous le souhaiterions. Après ce recadrage dans l’esprit de la parabole, revenons au fils aîné.

 

Bien qu’il possédât tous les droits en tant qu’aîné, il était sage cependant avant le partage et après en demeurant auprès de son père. C’est en effet la réhabilitation par le Père lors du retour du fils cadet qui le fait exploser. Et le dialogue final nous donne de mieux regarder ce bon fils sage que nous sommes, tout chrétien engagé et qui demeure auprès de Dieu et bien loin de ceux qui s’en sont éloignés tant par la pensée que par leurs vies qu’il m’est inutile de qualifier.

 

Le fils aîné possède des droits doubles qui ont été lésés déjà dans le partage. Remarquons que le père n’a pas ni attendu son retour des champs, ni son avis pour accueillir le cadet et encore moins lui organiser une fête. Comme pour rester dans le rôle secondaire que lui donnait apparemment l’attitude de son père, il s’informe non en allant vers son père comme l’autorise ses droits mais s’exclut lui aussi, en restant en dehors de la maison et bien sûr de la fête. N’est-ce pas ainsi que nous fonctionnant pour réclamer un droit, nous nous privons pour manifester notre mécontentement.

 

Son mécontentement ne vient pas de la bonne santé de son frère. Il vient de la différence du traitement du père. En effet, lui n’a jamais manqué de respect. Il n’a rien réclamé, il ne s’est pas plaint, il n’est jamais parti, il est resté bon. Il a toutefois deux points qui intriguent dans l’attitude du fils aîné et qui révèle sa position intérieure par rapport à son père.

 

Le premier est que lui avait fini avec son frère et pensait que son père avait fait de même. Sa colère se justifie par l’incompréhension de l’attitude de son père qui a été bafoué et lui lésé. Le deuxième point est l’initiative d’offrir un repas et de tuer le veau gras alors que lui l’obéissant n’a jamais reçu une quelconque reconnaissance par le moindre chevreau pour festoyer ne serait-ce qu’avec ses amis. Dans sa réponse, nous pouvons retrouver les ponts que nous avons coupé avec des personnes qui nous ont offensés indirectement. Nous percevons nos jugements de valeur sur les bienfaits que nous estimons mériter à cause de notre bon comportement et les punitions que nous aurions voulu pour ceux qui sont pécheurs à nos yeux, fussent-ils nos frères ou sœurs ! Par ailleurs, on devrait le redire, la radicalité d’une justice rétributive dans notre société moderne interdit tout pardon en mettant devant seulement la responsabilité et les droits à la réparation. On peut donc tout détruire pour nous, pourvu que nous ayons raison ou que nous justifions la défense de nos droits. Par-delà ces maladies qui nous rongent et qui nous empêchent de partager le regard miséricordieux du point de vue de Dieu, je voudrais laisser entrevoir un mal plus profond.

 

Le fils aîné était toujours physiquement avec le Père mais dans la pensée et la mentalité il était plus loin de lui que le fils cadet. Dans la vérité, il était éloigné du Père en esprit bien qu’il fût à côté. Dans son cœur, il n’avait pas seulement jugé son frère mais aussi son père, la preuve il peut rester en retrait ou s’éloigner de son père, de sa maison ou de tout ce qu’il avait construit justement pour ne pas reprendre contact ni avec son frère ni avec ceux qui l’épauleraient. Le fils prodigue a été physiquement loin mais son cœur s’est souvenu de son Père. L’aîné était à côté mais n’a comme jamais communié avec son Père. Et comme par hasard ce jeu de c’est lui ou moi, maintient le fils aîné en dehors alors que celui qu’on pense dehors est dans la maison de Dieu en train de profiter des délices de la miséricorde du Père.

 

Les propos du Père dévoilent un esclavage qui vient du fait de calculer dans la poche de Dieu. Alors qu’il reproche à son père de ne lui avoir rien offert ne serait-ce qu’un chevreau, le fils aîné s’entend dire comme s’il ne l’avait jamais su : « mon enfant, tout ce qui est à moi est à toi ». Le fils cadet s’est éloigné, a compris qu’il ne valait plus rien et a demandé à être considéré comme un étranger qu’on loue et qu’on paie (mistios : ouvrier mercenaire, salarié qui vient ponctuellement). Le fils aîné était là à côté de la source de miséricorde mais a vécu comme un esclave, travaillant et espérant une rétribution qu’il n’a jamais reçue. Servant son propre Père comme une esclave et ne s’autorisait pas les joies même les plus banales. Il est certes sage ou fidèle, mais il ne sait ni donner ni s’offrir à lui-même les joies de son état de fils. Il était l’esclave de sa pensée et de son juridisme.

 

Le frère perdu et retrouvé devient pour lui comme pour nous le chemin de redécouvrir notre nature d’enfant de Dieu, l’opportunité de disposer sagement des bienfaits et des grâces de Dieu, l’occasion de sortir de l’esclavage de nos juridismes, la chance d’entrer dans le projet de miséricorde du Père, le moment de participer à sa joie de revoir venir vers lui ses enfants exclus et éloignés.

 

 

Cette lecture, frères et sœurs, est un examen pour nos raidissements dans nos conflits familiaux, pour nos décisions de retrait ou d’éloignement dans nos communautés chrétiennes, parce que nous nous y estimons être meilleurs. Saurons-nous par ailleurs réussir l’épreuve de la miséricorde du Père et de la joie du frère ou de la sœur d’avance condamnés sans appel ?