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Homélie pour le Vendredi saint année C - 2025

par l'abbé Gad Aïna

Un mot se retrouve à l’arrière-fond de cette méditation : échange

 

À la dernière fête de Christ-Roi, nous avons médité Jn 18, 33-37. Ensemble nous avons alors médité sur la présentation de Saint Jean qui nous faisait comprendre que Jésus, le Verbe de vie est la Vérité. La Vérité dans ce procès était le véritable juge. Dans ce jugement par Pilate, le Procurateur était devenu commissionnaire, manipulé par les accusateurs et la foule qui ne produisent pas de preuves mais dévoilent leur intention de tuer Jésus. Pilate était finalement devenu acteur de la mise en lumière de la Vérité qu’est Jésus, il était devenu messager de la Royauté céleste du Christ qu’il proclame jusqu’à faire mettre un écriteau annonçant en plusieurs langues que Jésus est vraiment roi.

 

Voici deux dimanches déjà que nous avons médité sur le procès de la femme adultère. Pareillement ce procès est celui de Jésus avec pour prétexte la femme que l’on pouvait déjà tuer puisque la Loi en donne le droit. La vérité a jugé et mis chacun fasse à ses propres péchés. Le jugement n’a condamné personne même pas les accusateurs qui se sont défilés. La vie a surgi vainqueure car Dieu quand il juge, il ne condamne pas, il sauve et donne la vie. Il stigmatise le péché, relève et donne une nouvelle chance et une espérance aux pécheurs que nous sommes. Il nous libère et reste seul à notre place au milieu. Ainsi la Verbe de vie se livre en prenant la place du pécheur et sauve ce dernier. Le Verbe et juge éternel fait la vérité sur sa mission de roi.

 

Je voudrais proposer à notre méditation d’autres éléments qui montrent que Jésus est roi jusque dans le tombeau. D’abord au jardin des Oliviers, il est conscient que l’on vient le chercher. Il réveille ses disciples, il attend son traitre et la foule des détracteurs. Il se remet librement. Il évite à ses ennemis de se tromper à la faveur de la nuit. Il se présente et demande de ne perdre aucun de ceux que le Père lui a donnés. Sa réponse c’est moi qui se traduit « je suis » fait référence à sa divinité devant laquelle l’homme devient impuissant, recule et tombe. Il est Fils de Dieu, d’ailleurs n’a-t-il pas aussi remis en place l’oreille coupée ? De fait il est le maître, le roi mais il échange sa place pour être serviteur et reconnu comme un malfaiteur.

 

Ensuite dans la scène du jugement. D’une part, devant le grand prêtre qui fait œuvre de juge d’instruction à la recherche de preuves accablantes, les aveux de Jésus affirment simplement la sincérité et la publicité de son enseignement. Sa Parole demeure et règne donc pour être juge. Elle censure le grand-prêtre et n’a plus besoin de version privée pour ceux qui ne veulent pas croire. D’autre part lors du jugement devant Pilate, celui-ci colporte les avis sur Jésus qui lui demande comme à nous de nous positionner. Ne soyons pas seulement des colporteurs de la foi que nous avons reçue dans nos cheminements catéchétiques. Faisons aussi une expérience personnelle de lui. Jusque dans sa dignité bafouée, Jésus est la vérité. Il a pour mission de se faire connaître au monde pour le sauver. Son attitude impressionne d’ailleurs Pilate. Celui-ci en choisissant la neutralité, comme en politique, révèle que la personne de Jésus n’admet pas d’entre deux. Qui n’est pas avec lui est contre lui. Quand on fait semblant, ou quand on croit être neutre, on donne en effet le pouvoir au mal et on se laisse prendre au piège de la satisfaction populaire. Dans cet échange, nous sommes perdants et perdus.

 

Dans les épisodes de la passion, Jésus le serviteur, le condamné est couronné, puis revêtu de pourpre et salué roi comme dans une cérémonie de couronnement à l’intérieur du palais de Pilate. Il est sorti du palais et présenté à la foule ainsi « voici l’homme » comme dans la présentation publique de celui qui prétend à un trône. De cette manière en effet on présentait le roi. Puis le Roi devait retourner dans son palais pour ensuite sortir avec ses attributs, entourés de ses amis (Pilate n’a-t-il pas été amené à se positionner en rivalité avec Jésus ?). Pilate l’annonce : « voici votre roi ». Enfin il cède Jésus pour qu’il fasse sa parade avec la croix comme son sceptre et son bain de foule. Dans le jugement la condamnation et la mort de Jésus, le mot roi revient douze fois, une seule fois pour César et onze fois pour Jésus. Le verdict est clair. Jésus prend la place du condamné mais dans cet échange, c’est bien lui le seul roi.

 

Le Verbe de vie met en lumière sa royauté. Il se déclare Vérité. Son jugement appelle chacun de nous à le professer chaque jour. On ne peut fuir la Puissance de la Vérité, ni en demeurant neutre, ni en faisant semblant. Sa royauté s’impose même dans les situations les plus critiques à nos yeux. Le défi est donc de découvrir la royauté du Christ dans notre vie surtout dans les situations inacceptables. La question est comment travailler sur nous-mêmes à accepter cette royauté dans toutes les circonstances de notre vie surtout quand nous nous considérons échangés contre des banalités et persécutés. La difficulté c’est autoriser Dieu à transformer ou échanger notre présence dans le monde en acte de royauté, de vie et de salut. Cet acte est impossible sans une mort à soi-même pour laisser Jésus briller de sa lumière pour attirer et sauver les autres.

 

Jésus est mort pour rendre à l’homme l’humanité que Jésus lui a prise. Et dans ce don dit Saint Augustin, nous pouvons percevoir un enseignement de patience et un gage de gloire. En donnant le corps qu’il a pris de notre humanité, il nous a offert dans un admirable échange son immortalité. Lui ne pouvait pas mourir et nous ne pouvions pas vivre[1]. Puissions-nous nous aussi échanger cette dignité royale reçue pour le salut de ceux qui sont sans espérance dans une quelconque obscurité, souffrance ou mort.

 

Amen

 



[1] Saint Augustin (354-430) évêque d'Hippone (Afrique du Nord) et docteur de l'Église

Traité sur la Passion du Seigneur, 1-2 : PLS 2, 545-546 (in Lectures chrétiennes pour notre temps, fiche F17; trad. Orval; © 1971 Abbaye d'Orval)