par l'abbé Gad Aïna
Frères et sœurs dans le Christ,
Je voudrais suivre le mouvement inverse du texte de l’Évangile, pour qu’avec l’exemple de la parabole, nous comprenions la froideur de Jésus vis-à-vis du juif venu solliciter son influence morale pour régler une répartition d’héritage.
Une clé de lecture vient de l’appellation ‘‘insensé’’ que Dieu donne au riche propriétaire dans la parabole. Comment ce dernier est-il devenu insensé, au sens d’irrationnel, absurde, inepte ou stupide ? Ou comment a-t-il manqué de sagesse, de raison ou de bon sens ?
La première image qui ressort de la parabole est l’oubli du riche. Il oublie tout dès que la terre que Dieu a créée lui donne ses fruits. Il oublie Dieu, il oublie l’homme, il oublie sa vie. Le succès de son entreprise fermière le déconnecte de la réalité, des hommes et le rend amnésique. La deuxième image forte dans la parabole est qu’il ne parle qu’à la première personne : je vais faire, j’abattrai, je bâtirai, j’amasserai, je dirai. En dehors de son bien, la seule personne présente ou qui compte est lui-même. La troisième image, intrigante, est qu’il se parle à lui-même. Il est son propre interlocuteur, son propre destinataire, son propre bénéficiaire.
Il est donc devenu amnésique, déconnecté de la réalité. Il perd tout relationnel et se parle à lui-même. Aujourd’hui, si dans un hôpital un médecin avance ces propos en diagnostic à votre sujet, il veut exprimer gentiment que vous avez perdu la tête ; insensé, fou vous êtes devenu. Jésus ajoute dans la parabole un autre aspect : l’illusion. L’homme riche, dans son projet, se promet le bonheur sur des années. L’illusion est de se croire propriétaire de sa vie parce que des affaires réussissent ; comme si le bien matériel est une assurance-vie qui empêche de mourir brutalement. Cette illusion fait oublier que la vie nous est prêtée, et que le propriétaire de la vie peut reprendre son bien à tout moment ; il peut demander ton souffle cette nuit. Penser le contraire, c’est cela le choix absurde et stupide !
Après ce petit détour dans la parabole, essayons de comprendre la froideur de Jésus dans cette demande de médiation. Le docteur de la Loi pouvait intervenir dans les questions d’héritage. En se référant à Jésus, le juif le reconnaît comme maître et autorité en la matière. Mais Jésus interroge : « mais qui m’a établi juge et arbitre de vos partages ? » La phrase que Jésus reprend, vous le savez, est l’accusation de l’israélite à Moïse (Ex 2, 14). Cette accusation poussera Moïse à l’exil, ce qui facilitera sa vocation. En se défilant devant le rôle de juge et d’arbitre, Jésus indique qu’il n’a pas reçu une telle charge de biens matériels ; mieux, sa mission est d’un tout autre ordre. Par ailleurs, la parabole illustre son propos que l’abondance des biens matériels ne garantit ni la longueur de la vie, ni le bonheur encore moins le salut auprès de Dieu.
Jésus profite de cette situation pour nous inviter à devenir raisonnables et sensés. Il ne se veut pas juge des biens matériels alors qu’il est administrateur des dons célestes. Il ne veut pas se mêler de causes d’héritage, le véritable étant la vie éternelle. Il avertit que sous-couvert de justice et de bien-être, nous pouvons nous tromper de combat. Il alerte que le désir de justice peut marquer un désir corrompu, une avidité que l’on ne perçoit pas au premier coup et qui, latente, perdure cependant. Cette avidité est une absurdité, une folie, une incohérence issue d’une perception illusoire qui déséquilibre notre vie entière. Jésus déroule sous nos yeux une argumentation qui stigmatise et le riche et le pauvre. Ce n’est pas quand on est devenu propriétaire seulement que l’on développe cette folie. La folie se nourrit plutôt d’un désir corrompu et plutôt de l’avoir et des quêtes de pouvoir et de richesses. Cette orientation insensée a pour nom oubli de Dieu qui nous a donné la vie et nous a prêté la terre. Cette aliénation consiste à construire une bulle, s’y enfermer et devenir un handicapé émotionnel fermé aux autres. Cette ineptie consiste en un narcissisme nombriliste où l’on se voit seul, centre de tout, interlocuteur de tout, destinataire de tout, règle et norme de tout. Cette illusion engourdit l’âme et anesthésie l’esprit.
Posséder n’est-il pas la nouvelle drogue sociale ? Ne serait-ce pas une nouvelle addiction qu’être riche à tout prix ? Jésus sollicite instamment que nous endiguions jusqu’à éradiquer ce mal dans le fond de notre être, pour travailler et œuvrer pour nous enrichir selon Dieu. Il s’agit pour nous de reconnaître que nous sommes de Dieu, qu’Il a créé ce monde pour nous, que nous puissions lui rendre grâce, que nous l’utilisions pour le bien de tous. Il s’agit de nous rappeler que l’avidité est la source de tous les maux ; la course aux biens matériels ne crée pas de bonheur véritable, l’avoir n’est pas la solution à la longévité. La vie terrestre et la vie éternelle viennent de Dieu.