par l'abbé Gad Aïna
Frères et sœurs dans le Christ,
Aujourd’hui nous célébrons la Croix Glorieuse de notre Seigneur. Comment une croix peut-elle être glorieuse ? Qu’est-ce qui fait que ces deux réalités opposées soient réunies ? Comment un objet d’ignominie peut-il devenir le sujet de gloire ou un motif d’orgueil ? Penser la Croix Glorieuse, à partir de ces questions, revient d’abord à admettre l’existence du bien et du mal. Ensuite la Croix Glorieuse requiert une histoire dans laquelle les deux réalités se croisent. La Croix Glorieuse révèle enfin la victoire du bien sur le mal.
Dans la première lecture, Dieu sauve son peuple de l’esclavage. Ce peuple las de sa nouvelle condition, et parce qu’il erre dans le désert et souffre le manque de ses appétits antérieurs, murmure contre Dieu et Moïse. Son Dieu sauveur le punit donc en envoyant des serpents. Dieu fait ressentir dans la chair des fils d’Israël ce que leurs paroles méchantes produisent à ses oreilles. Leurs bouches sont une morsure et leurs langues un venin. Mais le peuple ne peut supporter, il crie au secours et Dieu lui donne un signe par le biais de Moïse. Ce symbole comporte la faute qu’elle signifie et le salut que Dieu donne avec la porte de sortie : un salut par la foi du regard.
Nous avons donc Dieu qui sauve, qui pourvoit au besoin de son peuple et le fait avancer vers la Terre Promise d’un côté ; de l’autre côté, le désespoir vis-à-vis de Dieu, les critiques acerbes du peuple à son endroit. D’une part donc, un bien, des efforts et d’autre part la démobilisation, les paroles méchantes. Ensuite, une histoire commune dans laquelle l’effort de bien et le processus de l’échec se croisent. Enfin, un symbole qui mêle les deux pour imposer la victoire du bien sur le mal. Dieu sauve en reprenant ce qui détruit. Et de ce mal il tire du bien pour le salut de ceux qui s’éloignaient de lui. Le symbole comporte la faute mais devient source de bonheur et de retour en grâce et en gloire.
Ce schéma en trois mouvements est repérable dans la deuxième lecture et l’évangile avec un présupposé : le fait de la rencontre du bien et du mal. Si Dieu envoie son Fils qui s’abaisse pour sauver, c’est qu’une personne s’est élevée orgueilleusement pour détruire. Le processus de l’abaissement du Fils fait face au processus d’orgueil d’Adam instigué par le démon. Dieu crée l’homme bon, lui offre un jardin. Le serpent trompe la femme et convainc l’homme de désobéir et de manger d’un arbre vivant dont les fruits donnent la connaissance mais aussi la mort. Le Fils de Dieu, par amour de la création de son Père et par miséricorde, s’est vidé de la façon d’être qui est propre à Dieu et il a pris la façon d’être qui est celle du Serviteur rédempteur. Il vit l’histoire de la souffrance sans la causer. Puis, il finit par donner sa vie en offrande obéissante, au moyen d’un bois ou d’un arbre mort dont il devient le fruit, qui, écartelé, donne la vie. Dans le bois, dans la souffrance se retrouve le péché. Dans l’obéissance jusqu’à la mort de la croix nous percevons l’humiliation la plus ignoble. Là encore Dieu fait un mélange admirable dans lequel la souffrance devient un passage vers la gloire. Il réalise l’innommable car l’élévation dans la souffrance devient l’élévation dans la gloire et source de réconciliation et de paix avec Dieu.
Ainsi donc, ce qui a été ourdi contre le fils de Dieu pour le tuer, devient un jugement du monde dans lequel Dieu sauve au lieu de condamner. La croix était un instrument de supplice, elle devient ainsi un instrument de salut ; elle était signe de malheur et de mort, Dieu en fait un symbole source de la vie qu’il donne et de sa rédemption. Comme le serpent suspendu par Moïse, le serviteur de Dieu, ainsi le péché est-il suspendu par Jésus qui se fait serviteur jusqu’à mourir sur la croix. Comme l’arbre vivant a procuré la mort par son fruit, ainsi l’arbre mort a donné la vie par son fruit. On a abaissé Jésus, Dieu l’a élevé. On l’a tué, il est entré dans la vie. On pensait que tout était fini et c’est là-même que le Fils de Dieu retourne dans sa gloire.
Nous avons rappelé que toute l’histoire du Salut se déroule entre deux arbres, celui du jardin d’Eden et celui du jardin de la croix. Ces deux repères rappellent à chacun notre histoire de salut, nos faux départs et la présence de Dieu qui ne fuit pas le mal ou s’en éloigne mais se rapproche de nous à chaque instant pour nous procurer son salut. Fêter la Croix Glorieuse revient à revoir autrement ce symbole central de notre vie chrétienne. Fêter la Croix Glorieuse revient aussi à jeter un autre regard sur nos croix et à obtenir du Seigneur qu’elles fructifient en gloire et aboutissent en résurrection pour chacun. Fêter enfin la Croix Glorieuse, c’est produire des fruits à la suite du Christ ou décider d’être soi-même un fruit qui n’est pas venimeux, un murmure blessant, une critique destructrice, mais d’être plutôt un baume qui soigne, une main qui apaise, un sourire qui encourage, une lueur qui éclaire, un cœur qui donne Dieu, des pieds qui apportent la paix ; c’est-à-dire agir comme Dieu, non seulement en quittant le mal ou en s’y opposant, mais surtout en œuvrant à changer les situations difficiles en moments de bonheur et de soulagement autour de nous.
Puisse l’Esprit Saint nous en donner la force.
Amen