par l'abbé Gad Aïna
Chers frères et sœurs,
Je comprends que nous nous braquions à l’écoute de l’éloge du maître vis-à-vis de ce gérant que lui-même appelle malhonnête. Pour éluder toute méprise, frères et sœurs, nous rassemblerons ce que Jésus n’a pas dit pour éviter de croire ce qu’il n’a jamais affirmé.
D’entrée de jeu, qui sont les destinataires de cette parabole de Jésus ? Ses disciples. Il veut donc donner à ses proches collaborateurs et disciples un enseignement qui les concerne. La parabole devient le moyen d’enseigner ceux qu’il nommera, les fils de la lumière qui s’assurent ou estiment être dans la vérité du Royaume.
Là-dessus, il ne donne pas la parabole seule : Jésus la conclut par des enseignements avec une petite parabole, celle des deux serviteurs. Ces leçons forment une deuxième conclusion à la parabole.
La première leçon, juste à la fin de la parabole, qualifie l’intendant d’avisé. Le riche propriétaire l’avait trouvé injuste, malhonnête. Il a distrait ou dissipé, en effet, les biens de son patron. Le qualifier ainsi établit déjà qu’il n’est point à la base un exemple. Cet escroc invétéré s’est trouvé en toute logique des atouts de faussaire puisqu’il passe des écritures en faux : assois-toi, écris cinquante barils ou trente sacs dit-il aux débiteurs de son patron. Si le maître reconnaît qu’il est fourbe et fraudeur, surtout après qu’il se soit enquis de ces arrangements, alors pourquoi le loue-t-il ? Remarquons le fait que c’est le maître et non plus seulement le riche propriétaire qui fait l’éloge. Le maître renvoie à la fois au propriétaire mais surtout à Jésus. Pourquoi donc Jésus ferait-il les louanges d’un escroc faussaire qui en plus serait intéressé ?
Dans le contexte de l’Évangile selon Luc, on peut penser, premièrement que l’intendant a été généreux alors que son patron ne l’a pas été ; deuxièmement, voulant se garantir un avenir avec les biens qu’il ne possède plus et qui n’ont jamais été les siens, il se tourne vers des personnes ; troisièmement, il est habile dans sa démarche, pour un fraudeur qui ne pense qu’à lui et aux biens matériels. Quelle leçon de son attitude les disciples, qui sont fils de la lumière, peuvent-ils tirer ?
Voilà comment Jésus enchaîne avec les enseignements qui suivent : une exhortation à utiliser les biens en vue de se garantir un avenir dans le Royaume.
Si les calculateurs impies peuvent se faire des amis en les corrompant, le fils de la vérité doit faire usage de la charité pour préparer la vie éternelle, car les pauvres sont chez eux dans les demeures éternelles ; les riches, selon Luc, pleureront. L’habileté consiste donc à adopter un regard, un comportement indiqué à l’égard de l’argent injuste ou malhonnête. Le Mammon (divinité ou esprit représentant la fortune) trompeur n’est pas celui que l’on gagne en détournant ou en usurpant les biens d’autrui. L’argent est en lui-même injuste car il nous donne la sensation de le posséder. Mais si vous passez cette vie, vous n’avez plus rien. Il n’entre pas dans l’être de celui qui le possède et ne passe pas la mort. Il ne nous donne aucune garantie pour après. Bien sûr, si on nous l’enlève comme à l’économe déloyal, que posséderions-nous ?
Au contraire, le bien que l’on accomplit, la charité exercée, et les personnes aimées et soutenues passeront dans le monde éternel. L’argent est donc une réalité périssable qui produit dans notre esprit l’illusion de le posséder alors qu’il est une valeur transitoire qui nous sera ôtée. Il crée l’illusion, de telle sorte qu’il nous pousse à courir après lui indéfiniment. De plus, quand on commence à l’idolâtrer ou à le servir comme une fin en soi et non un moyen, il devient la source d’injustices dans le monde et la grande source d’injustice envers le Créateur de tout bien.
Dans le lot d’enseignements qui éloigneraient d’un conseil en fourberie ou filouterie de la part de Jésus, se retrouve, à partir du verset 10, la deuxième leçon : Jésus invite à la fidélité en tout temps, en ce qui concerne tout ce qui nous est confié, petits et grands biens, biens passagers et véritables. Dans la question qu’il adresse à ses auditeurs : « qui vous confierait le bien véritable ? », le maître nous rappelle que nous devons être digne de confiance et non seulement honnête. En vérité, celui qui est digne de confiance, a déjà donné des preuves de sa bonne gestion. Jésus considère que nous sommes des administrateurs des biens de cette création et non les propriétaires. Mais il suggère aussi que nous avons également des biens spirituels à gérer. Il minimise la valeur de l’argent pour montrer la valeur des biens véritables spirituels et éternels. Il nous apprend que la gestion des biens matériels est une étape vers la gérance ou l’intendance des biens spirituels. Si nous sommes incapables de justice, d’honnêteté et d’habileté dans les biens terrestres, comment pourrions-nous prétendre gérer les biens célestes confiés à nous ? Il nous revient de travailler à ces qualités, pour mieux gérer les biens de la communauté chrétienne que chacun a reçus par le baptême et qu’il doit administrer par son rôle dans la communauté.
Le dernier verset du texte est la troisième leçon : ce verset est aussi une petite parabole avec sa leçon ; le serviteur a deux maîtres. L’idolâtre de l’argent s’en fait son esclave, méprise Dieu et donc ne peut être un fils de la lumière. Le serviteur de Dieu utilise l’argent pour aider ses frères et sœurs et prouve que Dieu est son choix essentiel. Jésus demande de rendre justice à Dieu en lui donnant sa vraie place et la première dans notre vie et de donner à l’argent une place de serviteur. Mieux, il demande de l’utiliser comme un moyen pour aller vers Dieu et nous garantir un avenir dans son sein. L’argent que Dieu nous donne ou les biens que nous détenons sont donc une opportunité d’investissement, une épreuve d’intelligence. Le meilleur placement financier est d’investir dans les pauvres. Détourner les biens loin de la charité, c’est manquer d’intelligence à l’égard de l’opportunité et d’injustice vis-à-vis du réel propriétaire. C’est aussi priver les destinataires de leurs droits, eux qui seront nos défenseurs. Agir ainsi c’est refuser le salut qui nous est proposé et suivre du vent, poursuivre des illusions.
Puisse le Seigneur nous accorder l’intelligence et la bonne gestion de tous les types de biens qu’il nous a accordés.
Amen