par l'abbé Gad Aïna
Frères et sœurs dans le Christ,
Deux phrases de l’évangile de Luc viennent à l’esprit, à l’écoute de la Parole de Dieu de ce dimanche : la première « malheureux, vous, les riches, car vous avez déjà reçu votre consolation ! » (Lc 6,26) que l’on retrouve dans la bouche d’Abraham : « Mon enfant, souviens-toi que pendant ta vie tu as reçu toutes tes bonnes choses » (Lc 16,25). La deuxième, phrase, de dimanche dernier, nous conseillait et nous lançait cet appel : « faites-vous des amis avec l’argent malhonnête et quand il viendra à vous manquer, eux vous accueilleront dans les demeures éternelles. »( Lc 16,9).
Avec ces deux phrases, nous pouvons dès maintenant résoudre une question qui se retrouve dans la première lecture : quel est le péché du riche ? Le Seigneur, par son prophète Amos, interpelle les riches du peuple de Dieu : hélas, c’est dommage pour vous. Mais quittez un peu votre quartier cossu, allez, sortez et regardez. Vous êtes dans votre cocon et bien « Vous qui êtes les premiers, vous serez les premiers des déportés » (Am 6,7). L’état final de celui qui avait toute chose m’inspire à relever dans la page d’évangile, ce que j’appelle les destins croisés, qui, en fait, sont éloignés, à cause du refus de voir la misère et aussi de l’autojustification de sa propre situation.
Prenons donc le riche. La parabole ne le nomme pas ; sans identité, il n’est pas une personne mais il a tout. Il s’habille de pourpre, de byssus, la couleur la plus chère, et du lin le plus fin ; il mange royalement tous les jours ; il ne voit pas Lazare étendu à sa porte, en situation de prostration. Lazare, dont le nom signifie ‘‘Dieu vient en aide’’ est couvert de plaies, il a faim. Il rêve des miettes qui tombaient de la table du riche. Il est esseulé, sans amis. Et ce sont les chiens qui viennent lécher ses plaies. Vous savez que les chiens sont des animaux méprisés. Jésus dit : allez dire au Chien d’Hérode, ou encore à la femme syro-phénicienne que l’on ne va pas donner la nourriture des enfants aux chiens. Lazare a pour seuls amis des chiens qui viennent en plus se nourrir de ses ulcères et évidemment les infecter.
Quand Lazare meurt, les Anges l’emportent au ciel : il est élevé dans le repli du manteau d’Abraham, lieu privilégié où, selon la pensée des auditeurs de Jésus, les justes attendent la résurrection et les méchants périront dans les flammes. Le riche meurt aussi. Luc dit de manière lapidaire qu’il reçut les honneurs funèbres. Dans la suite, on saisit, parce qu’on l’enterra, qu’il avait également commencé sa descente pour être livré au supplice des flammes.
Ces peux personnes qui se sont croisées dans cette vie, ont des destins décroisés dans l’autre. Ce qui suit nous ouvre les yeux sur le refus du riche de voir même au-delà de la mort. Il devient amnésique, réclame de la pitié de la part d’Abraham et sollicite qu’on envoie le pauvre le servir, le rafraîchir au milieu des flammes. Lazare est silencieux et Abraham, le père des justes, parle pour lui. Quand il se rend compte, à la réponse d’Abraham, de l’impossibilité de l’aider malgré leur bonne volonté, alors il se rend compte que le fossé qui sépare les riches des miséreux, devient un abîme, un chaos infranchissable après la mort. Sa réaction, si elle vise à sauver les siens, est entièrement égoïste.
En effet, il ne pense d’abord qu’à ses parents, plus précisément à ses frères. De plus son message est un avertissement pour éviter les flammes et non changer de vie ou de vision. Il ne veut pas envoyer Lazare pour que ces frères soient plus généreux mais pour qu’ils évitent sa situation de souffrance. Si on veut, on pourrait dire qu’ils continuent dans l’au-delà, la belle vie qu’ils ont eu sur la terre.
C’est alors dans la réponse d’Abraham que nous comprenons que les moyens d’éviter la situation du riche sont accessibles à tous. Nous saisissons aussi que ces moyens sont la Parole de Dieu qui invite à la conversion. Nous appréhendons enfin que ceux qui se justifient dans leurs bulles ne changeront pas, y compris devant des situations exceptionnelles comme la vision d’un ressuscité.
Celui qui refuse de voir un pauvre ne peut pas accepter la vision de l’au-delà, il ne peut accepter de changer en voyant un défunt, fût-il Lazare revenu d’entre les morts, fût-il Jésus ressuscité. Voilà comment quelqu’un qui possède tout peut ne pas être une personne. Elle peut ne pas avoir de relation vraie à la réalité des autres et des nécessiteux. Voilà comment, au lieu d’utiliser l’argent trompeur pour obtenir des amis défenseurs dans les demeures éternelles, nous pouvons rater cette occasion en élevant plutôt un mur protecteur qui nous enferme dans les abysses de l’enfer.
Ce péché de ne pas voir, ce crime de ne penser qu’à soi et qu’aux siens, de prendre toutes les places à la table de ce monde, au point de ne pas laisser les ‘Lazare’ toucher même aux miettes, est la cause de la marginalisation de millions d’hommes et de femmes dans notre pays et dans les régions les plus pauvres du monde.
Je voudrais finir en reprenant les mots d’Amos, allez, sortez, regardez…
Puisse l’Esprit Saint nous accorder à tous et à ceux qui nous gouvernent de quitter l’autojustification des schizophrénies du pouvoir et du libéralisme afin de donner un peu plus d’humanité au
voisin indigent, aux désocialisés, aux pays pauvres.
Amen