· 

Homélie pour le 29 dimanche ordinaire - année C - 2025

par l'abbé Gad Aïna

Frères et sœurs dans le Christ,

Dieu se donne à voir aujourd’hui comme un être humain. Dans ma langue, on dit que l’enfant qui ne lève pas les bras ne manifeste pas la volonté qu’on l’élève, et qu’il n’est pas facile à soulever. 

 

En cette phrase se résume l’attitude de Dieu. Et cette attitude peut nous sembler surprenante. En effet, dans la première lecture, du livre de l’Exode (17, 8-13), Josué conduit Israël à la bataille contre Amalek. Moïse assure simultanément l’aspect spirituel du combat en suppliant Dieu pour la victoire. Moïse gère l’aspect spirituel de la bataille et Josué le côté matériel ou physique. Dieu joue alors le jeu de la prière. Quand Moïse prie et lève haut les mains, Dieu accueille sa prière et donne la victoire. Quand Moïse faiblit et baisse les bras – entendez dans tous les sens possibles : il baisse ses bras physiques mais aussi il se lasse ou se décourage – Dieu laisse les Amalécites gagner. C’est assez singulier, Dieu suit les bras de Moïse.

 

L’idée est claire, l’homme se bat mais c’est Dieu qui donne la victoire. Mais si l’homme ne tient pas ferme en Dieu, il n’aura pas la victoire. Si la victoire de l’homme dépend de Dieu en sa source, en son exercice, elle dépend de l’opiniâtreté de l’homme lui-même dans la prière et dans l’action. Dieu va à notre rythme, dirait-on ! Ou encore, il joue notre jeu, affirmerait-on ! Son intervention tient de notre engagement dans notre prière. Pour obtenir cette victoire, remarquons-le, Moïse lève le bâton que Dieu lui avait ordonné de lever pour fendre la mer et faire passer les fils d’Israël. Il devra garder les mains levées avec le bâton, du matin au soir : une épreuve pénible d’efforts ardus.

 

J’effectue une rapide appropriation. A nous qui prions et pensons peut-être que nous en avons trop fait, voilà l’exemple de Moïse qui pourtant parlait avec Dieu face à face : il est resté les mains levées, du matin au soir, avec un bâton dans les mains pour donner la victoire à son peuple. Une heure de messe nous lasse ; un temps de prière à la maison nous presse et nous liquéfie ; du temps pour Dieu nous pétrifie ; le silence en sa présence nous horrifie.  La foi a été tellement privatisée que la prière demeure souvent un acte de pensée évasive, ou une formule projetée sans grand cœur ou sans âme profonde, ou encore sans hargne ni acharnement. Moïse s’est vu obligé de repenser sa prière et sa posture physique. Il se rendait compte en effet, que la position de ses mains et de son cœur vis-à-vis de Dieu changeait le cours de l’histoire. Exténué, il avait mal aux bras. Mais il avait compris que Dieu avait cédé entre ses mains l’issue du combat. Alors dans son rôle d’intercession, il s’assit, se fit aider ; Aaron et Hour vinrent même lui soutenir les mains.

 

Dieu donne l’image de quelqu’un qu’il faut fatiguer à force d’épuisement dans la prière. Et Moïse, son serviteur, nous donne l’exemple de la prière dans le temps, sans discontinuer, au prix de la douleur du corps, de la ténacité et de la volonté pour l’exaucement de la victoire. Alors on peut s’interroger : et si Dieu, pour nous laisser maître du jeu, n’accompagnait que notre prière ? Il nous est facile d’accuser Dieu de son silence, de nos malheurs. Et si la grandeur de la victoire dépendait de la qualité de la prière ? A petite prière, fugace victoire ! A médiocre prière, résultat éphémère ! A intense prière, éclatant triomphe ! Voilà pourquoi je disais que Dieu se donne à voir, comme un humain qui regarde le fond du cœur, qui veut une preuve d’attachement et de persévérance, une preuve de fidélité et parfois il nous donne selon la dose que nous mettons dans la relation avec Lui : donnant, donnant, gagnant, gagnant.

 

Dans l’évangile, nous retrouvons une image semblable : ce Dieu qui fait la moue et veut qu’on l’enquiquine, ce Dieu si humain qui semble être sourd ou absent, alors qu’il est incomparable en bonté. Une question peut alors revenir à l’esprit : si Dieu est juste, pourquoi ne fait-il pas justice simplement ou sans nous ? L’évangile de ce dimanche y répond paradoxalement d’une manière humaine : désirez-vous ardemment cette justice ou l’objet de votre prière ? Alors, priez comme il le faut pour que Dieu fasse justice ! Vous doutez, vous vous plaignez de son absence de réponse, ne baissez donc pas les bras, ne vous découragez pas ! Toutes ces attitudes ne servent de rien. Si vous voulez vraiment obtenir quelque chose allez-y priez !

Je ne sais pas pour vous, mais face à la foule de soupçons et d’accusations qui pèsent sur Dieu, Jésus extériorise nos pensées en le comparant à un juge lointain qui ne se soucie de personne et qui se moque des gens. Alors si nous prions avec persévérance, nous découvrirons peu à peu que tout n’est pas aussi absurde qu’il semblait. De plus, nous parviendrons à reconnaître dans les événements, le visage du Dieu, qui nous aime et de qui nous pouvons tout obtenir. Par cette parabole, Jésus insiste tellement sur notre responsabilité envers notre vie, notre destinée, nos frères, le monde, cette responsabilité de prier Dieu inlassablement, jour et nuit.

 

Cette parabole avec un visage si humain attribué à Dieu ne manquera pas de choquer notre logique de passifs, ou note vision d’un Dieu miséricordieux qui doit agir comme un état provident et régler tous nos soucis à l’avance. Au contraire, il faudrait nous laisser émouvoir par ce visage, comme d’une mère qui ne refuse un bien à son enfant que pour l’exercer à la patience ; comme un père qui se tait pour que son enfant apprenne à se battre pour devenir fort, à acquérir la persévérance. Cette attitude nous insupporte sans doute car nous surprotégeons les nôtres et nous pensons aussi qu’aimer c’est offrir tout et céder à tous les désirs.

 

Ce regard sur Dieu met en lumière quelque chose d’humain disions-nous : j’ajouterai ici, la fantaisie et l’humour de Dieu, une absence de mesure normale selon notre entendement. Jésus nous invite à voir en Dieu tout ce que nous admirons chez les gens vraiment intelligents, lesquels manient volontiers l’humour et la fantaisie, tout ce que nous admirons chez les amants, qui ne connaissent guère la mesure, ou encore chez les parents inquiets pour leurs enfants. Rechercher une preuve chez la personne que l’on aime n’est guère une méchanceté sinon l’ouvrir à la gravité de la situation que l’on partage avec elle. 

 

Finalement, cette page d’évangile, dans sa naturalité, requiert nécessairement une humilité sur Dieu. Elle nous appelle à nous méfier des certitudes de notre représentation et de notre prédication ou encore des discours sur celui que notre théologie connaît en fait si peu. Ce qui demeure encourageant en fin de compte est l’ouverture à la communion simple et confiante entre Dieu et ses enfants.