par l'abbé Gad Aïna
Frères et sœurs dans le Christ,
En ce jour de la Toussaint où nous nous rappelons notre appel à la sainteté, je voudrais juste utiliser une phrase de Catherine de Sienne que le Pape Jean-Paul II a citée aux jeunes, à Rome en l’an 2000 : « Si vous êtes ce que vous devez être, vous mettrez le feu au monde entier ». Sainte Catherine disait : « Si vous devenez ce que vous êtes, vous mettrez le feu au monde entier » (cf. Rm 12,5). Dans la première portion de la phrase, on remarque un premier état latent, « ce que vous êtes », qui invoque une condition ; le changement exprimé par « si vous devenez » aboutit à un deuxième état futur : celui qui embrase.
Vous appréhendez la distance entre ce que l’on est au départ et ce que l’on est à la fin. Nous entrevoyons donc une situation de départ, une situation en devenir et une situation finale. Entraînons-nous dans le mouvement de ces étapes.
La situation de départ
On n’est pas saint à la naissance. On naît plutôt pécheur ou simplement homme ou femme. Tous ceux que nous célébrons aujourd’hui, connus et inconnus, avaient des défauts et des passions, ces
hommes et ces femmes de toutes tribus, races, langues, peuples et nations marqués du sceau ‘’enfants de Dieu’’. La situation de départ de tous est ainsi constituée d’humanité, de faiblesses,
de péchés mais surtout du don de devenir enfants de Dieu.
Pour exemple, regardez le casting de Dieu : dans l’Ancien Testament, Abraham est un païen, Moïse un bègue, Elie qui finit par se décourager face à l’acharnement de Jézabel, Élisée un paysan, Jérémie un plaintif, Amos un bouvier ; dans le Nouveau Testament, regardez Pierre, pécheur, impulsif, avec ses pensées humaines, ses reniements ; voyez Jacques et Jean, ambitieux ; Paul, complice de l’assassinat d’Étienne, persécuteur, Mathieu un collabo, Marie-Madeleine une hétaïre, possédée de surcroît. Si vous voulez, cherchez plus loin : Augustin, Jérôme colérique, Sainte Bernadette analphabète, les trois enfants de Fatima, incultes. Voilà la situation de départ : ce qui est fou, ce qui est faible, insignifiant, voilà ce que Dieu choisit pour confondre les forts, les sages, nous compris et le monde.
La situation en devenir
Si ceux que nous appelons les saints étaient demeurés à ce point de départ, sans changement, nous ne serions guère en train de célébrer leur mémoire. Ils ont donc vécu une réalité qui les a
changés. Cette vie de conversion commence par le choix de la sainteté. Le choix de la sainteté n’est pas une rêverie mais une connexion avec la réalité de Dieu : reconnaître Dieu dans sa
vie, croire en lui et choisir d’être comme lui, d’être à sa suite et d’être avec lui. Choisir Dieu dans son cœur et suivre sa loi, ses dispositions nous amène à nous convertir
intérieurement ; un travail sur soi qui prend du temps et qui coûte plus que l’entretien des apparences et des gestes ; pendre soin de la vie qui nous mène à Dieu et non seulement clamer
des idées, avancer de belles paroles.
Ensuite, sortir de soi, vivre selon l’amour de Dieu, vouloir le rejoindre entraîne un travail non moins profond autour de soi. Ce labeur exige autant que la conversion intérieure, le
courage et la volonté de lutter contre le mal, le péché, l’injustice. Ce travail sur soi réclame d’accepter l’épreuve, l’adversité de tous ceux qui ne veulent pas de Dieu, ni de sa présence,
ni de son bonheur. L’adversité nous amène à nous battre et à parfois à subir tout ce que l’on veut changer. Et parfois, il nous faudra nous battre jusqu’au sang, jusqu’au prix de notre vie. Ce
travail exige aussi que nous mettions tout ce que nous sommes et tout ce que nous possédons au service de la sainteté et de la gloire de Dieu. C’est ainsi que ce travail nous transforme en
acteurs de notre conversion et de celle du monde.
Frères et sœurs, ce serait dresser un tableau centré sur soi et ses efforts que s’empêcher de percevoir l’action continue de Dieu, au début, au cœur et à la fin de ce chemin de perfection. Faire
des efforts consiste en ce sens à se noyer dans l’amour de Dieu, se laisser porter par son Esprit, continuer selon sa grâce et s’abandonner à lui. Quand nous cheminons et essayons de changer,
c’est en fait lui, comme un potier, qui nous transforme en saintes et saints.
La situation finale
Voilà notre destination finale, les saints y sont parvenus. Elle est symbolisée par la palme de la victoire, les vêtements blancs, purifiés dans la foi et le bon témoignage.
Les saints vivent dans le bonheur et la paix qu’ils ont souhaitée et pour laquelle ils se sont battus. Ils expérimentent la présence de Dieu qu’ils ont recherchée. Ils vivent la véritable béatitude : être avec Dieu dans le Royaume qu’il construisait par eux. Ils ne nous oublient pas cependant car là aussi, le ciel n’est pas déconnecté de la terre. Ils nous offrent un exemple par leur victoire et un soutien par leur intercession devant Dieu en notre faveur.
Frères et sœurs dans le Christ, à travers ces trois étapes, nous avons détaillé ce que nous sommes, ce que nous sommes appelés à être ou devenir et le chemin ou la voie pour y parvenir. Faisons chacun notre fiche technique.
Le dernier point que je vous propose n’est pas une étape mais le carburant, un produit inflammable. En effet, peut-être que nous savons tout cela ! Nous connaissons l’Église, nos tâches et rôles en communauté. Mais il y a un pas entre savoir et vivre, connaître et manifester. Peut-être que finalement l’on a perdu le carburant, l’enthousiasme et la flamme qui devraient nous projeter et alimenter notre mouvement vers Dieu. Ce carburant est un feu qui brille dans l’âme, brûle et irradie le cœur. Vous avez compris ! Peut-être que nous avons perdu cette ardeur qui donne aux saints de se lever, d’être actifs, de se mettre en route, de sentir, de vivre et de partager cet être qu’ils ne possédaient ni n’étaient totalement. Peut-être que nous ne sentons plus ce feu, cette ardeur en nous ! Peut-être nous jugeons-nous incapables d’alimenter ce feu en nous et dans nos communautés afin de le transmettre au monde. Peut-être que notre raison, impitoyable tyran, a dévoré en nous le zèle qui meut la foi !
Je crois qu’au lieu de chercher à comprendre plus, mieux vaudrait-il implorer les saints pour qu’ils nous obtiennent cette flamme simple et puissante sans laquelle la vie chrétienne devient un calque à l’air si gris, insipide et soporifique !
Seigneur donne nous la flamme des saints.
Amen