par l'abbé Gad Aïna
Frères et sœurs dans le Christ,
Nous célébrons aujourd’hui la Dédicace de la Basilique du Latran, « Mère et chef de toutes les églises de Rome et du monde », comme il est inscrit sur son fronton. Cette première basilique marque le début de célébrations publiques dans des églises, où le mystère du Christ est célébré dans la Parole de Dieu et les sacrements. Célébrer la Dédicace ne revient pas seulement à faire mémoire d’un patrimoine mais aussi à nous rappeler le signe que Dieu offre à partir de cet héritage sacré.
Le signe est un élément, une réalité qui renvoie à une autre en permettant de l’identifier. Le signe, dans le cadre de l’évangile de Jean, en trois petits points, est un miracle qui garantit le message de Jésus, en révèle la nature profonde et projette un au-delà de l’acte posé par lui. La purification du Temple succède aux noces de Cana, dans l’évangile de Jean, premier signe où Jésus révélait sa gloire. Dans cet épisode du Temple, les juifs lui demandent un signe. Jésus profite de cette question et nous oriente du Temple vers son Corps et de l’Écriture vers sa Parole.
Je vous propose de méditer brièvement sur ces deux points dans l’évangile, afin d’éviter la méprise à laquelle Jésus veut arracher ses disciples. Une méprise peut advenir quand on échange des signes, surtout quand ils portent plusieurs sens dont certains ne sont perceptibles que par la foi. Saint Jean utilise le cadre de la purification du Temple pour nous amener à saisir, à travers le geste posé par Jésus, les sens du Temple et de l’Écriture.
Vous savez que pour les besoins des sacrifices au Temple de Jérusalem, un véritable marché s’était établi à l’intérieur du parvis. Jésus se fâche à la vue de ce mercantilisme sacré et réalisant un fouet de cordes, Il en chasse les vendeurs. Les disciples de Jésus lisent cet acte comme un accomplissement de l’Écriture : « un amour jaloux pour ta maison me dévore » (Ps 69,10). Jésus se fait sans doute la main qui réalise la prophétie de Zacharie 14,21 : « En ce jour-là il n’y aura plus de marchands dans le Temple du Seigneur le Tout-Puissant ». Mais le Seigneur ne veut pas que ses contemporains, et nous aussi, fassions une méprise au sujet de cet assainissement de la maison que Dieu accomplit.
À la faveur du dialogue qui sanctionne le geste de la purification, Jésus oriente vers les méprises à éviter. Les témoins de Jésus ne le comprennent pas et réclament un signe. Nous savons que le risque est de rester au niveau miraculeux et de ne voir en Jésus qu’un thaumaturge ou carrément de ne pas le croire. De fait, les auditeurs de Jésus se méprennent totalement en se focalisant sur le Temple physique et inachevé qu’ils fréquentaient. Et nous connaissons, par ailleurs, l’instrumentalisation de cet acte contre lui lors de son futur procès. Les disciples de Jésus ne saisissent pas plus le sens. Saint Jean nous rappelle qu’eux-mêmes ne seront fixés qu’après la résurrection de Jésus. À notre tour, lors de cette fête de la Dédicace de la Basilique du Latran, évitons de commettre la méprise que Jésus veut éviter à ses disciples.
Dans la Pâque, le corps de Jésus est sacrifié sur la croix et détruit. Trois jours après, Jésus ressuscite d’entre les morts. Les disciples comprendront après coup, en se rappelant son geste, que le Temple dont il parlait c’était son Corps. Jésus parlait donc de son Corps comme un Temple. En faisant ainsi allusion à sa mort et à sa résurrection à venir, le Seigneur Jésus nous montre que le lieu vivant de la présence de Dieu n’est pas le bâtiment mais lui-même. Son corps marqué par la passion et la résurrection sera la nouvelle demeure de Dieu.
Si à notre tour, nous avons des bâtisses à la suite de la Basilique de Latran, rappelons-nous qu’elles sont le signe du Corps de Jésus ressuscité qu’est l’Église, Corps du Christ que nous constituons par notre baptême. C’est elle, l’assemblée dans laquelle Dieu est présent. Jésus nous donne donc la purification du Temple pour signifier qu’il nous faut certainement prendre soin du temple physique de nos églises. Le plus important cependant reste l’Église, le Corps du Christ, l’assemblée des baptisés que nous devrions soigner, nettoyer, entretenir. Jésus, en orientant vers sa personne dans le mystère de Pâques, nous interpelle à l’essentiel : nos communautés doivent rayonner de cette présence de Dieu et se préoccuper plus de la vie ecclésiale. La beauté de nos églises doit refléter la qualité de vie de nos communautés. Les églises désaffectées et les communautés désertées ne sont-elles pas le signe que Jésus nous invite à regarder, parce qu’elles ne nous interpellent plus ? N’est-ce pas l’occasion de rappeler que l’amour pour la maison de Dieu, son Temple, doit être ravivé ? N’est-ce pas le moment de retrouver le zèle ou le feu dévorant pour le soin à donner à nos communautés et à l’Église-Corps du Christ ?
Je voudrais finir par le deuxième glissement que Saint Jean suggère en rapport à l’Écriture. S’il nous invitait à passer du Temple à son Corps, on comprend que par l’association qu’établit
l’Évangéliste, il nous faut aussi passer de l’Écriture à la Parole de Jésus. Les disciples, après la résurrection, à partir de cet évènement, crurent en l’Écriture et à la Parole que Jésus avait
prononcée. Jésus pose ce geste en lien avec l’Écriture déjà existante, l’Ancien Testament. Saint Jean montre que la foi en l’Écriture doit opérer une évolution. Elle n’est pas la seule source de
foi. Si Jésus l’accomplit, l’Écriture est nécessairement importante. Mais le geste de Jésus et la parole qui sort de sa bouche font également objet de foi. Là aussi, nous sommes interpelés
à passer d’une réalité écrite que Jésus accomplit à une réalité dynamique qu’il communique. Par sa résurrection, Jésus ne devient pas seulement le nouveau Temple vivant. Sa Parole, ses gestes
deviennent l’Écriture vivante, La Parole de Dieu dans laquelle il faut croire et vivre.
Cette dynamique qui donne vie au Temple et à l’Écriture est un chemin que Jésus nous indique en cette fête. Allons-nous revenir nous asseoir calmement à nos tables de changeurs ou à nos postes fermement fixés et calés, perpétuant nos méprises, ou allons-nous porter avec ardeur et zèle cette vie dynamique que Jésus nous indique à coup de colère et de fouet ?