par l'abbé Gad Aïna
Chers frères et sœurs dans le Christ,
Je voudrais aborder les textes de ce dimanche avec le mot ‘’gêne’’. La gêne est une sensation physique de malaise et de peine ou une situation embarrassante ou un obstacle émotionnellement contraignant. Sans la perception de cette situation physique et le malaise ressenti, on ne peut donc percevoir l’urgence de la Parole de Dieu de ce dimanche.
Dieu est gêné de la situation de son peuple. Il marque son désaccord avec ce que traverse le peuple en faisant une promesse. Dans la promesse de Dieu, dans l’oracle, on peut identifier quatre situations gênantes : la promesse d’un messie de la racine de Jessé, un autre David, venant de l’échec de la royauté. Aucun roi n’a été comme David. La plupart ont été désavoués par le Seigneur lui-même. Vu que la promesse d’un oint issu de la racine de Jessé avait perdu sa concrétisation en un prince, la promesse du Messie créait une gène. Isaïe est alors le premier à annoncer un Messie, c’est-à-dire un roi “consacré” par Dieu, comme David (c’est le sens du mot Messie, ou Christ), mais supérieur à lui. Ici, il est présenté comme un rameau sortant du tronc après que l’arbre a été coupé. Ainsi, Isaïe suggère que les rois actuels, pécheurs et sans grande foi, vont être éliminés. Plutôt qu’un descendant de David, Emmanuel sera un nouveau David (on l’appellera fils de Jessé comme l’était David). Dieu est donc gêné et insatisfait de ces rois qui ne le reflètent pas. Le peuple est insatisfait des rois qui deviennent incapables et il vit dans la gène que la promesse de Dieu ne s’accomplisse pas. Isaïe offre la perspective d’un avenir, il précise l’action future de Dieu.
La deuxième gêne dans la première lecture ressort de l’investiture du Christ ou Messie. L’Esprit du Seigneur reposera sur lui. Il n’aura pas une portion de l’Esprit, il n’aura pas seulement une grâce, il aura la plénitude de l’Esprit Divin. Cette prophétie nous renvoie soit au baptême de Jésus, soit à sa déclaration d’accomplissement dans la synagogue de Nazareth où il lit « l’Esprit du Seigneur est sur moi » et ajoute « aujourd’hui cette parole de l’Ecriture s’accomplit ». La prophétie dévoile la gêne que ceux qui ont préparé la venue du Verbe de vie n’avaient pas la plénitude de l’Esprit. Ils n’avaient donc pas la capacité d’accomplir toutes les prophéties de l’Ancienne Alliance. En son Messie, Dieu envoie la Parole définitive qui s’accomplit pour résoudre toutes les imperfections liées à ceux qui ont précédé le Christ. Dieu est gêné car sa Parole n’était ni définitive ni parfaitement accomplie ; le croyant est gêné car il perçoit que des aspects manquent à l’accomplissement de la promesse.
Une troisième gêne, qui se retrouve à la fin de la première lecture, est l’ignorance. Isaïe affirme : « on ne fera plus rien de mauvais, ni de corrompu sur ma montagne sainte ; car la connaissance du Seigneur remplira le pays comme les eaux recouvrent le fond de la mer ». Le Messie, pour arrêter la violence et l’injustice, transmettra la connaissance de Dieu. Celle-ci empêchera l’ignorance de régner en causant tort, injustice et violence.
La quatrième gêne que vient résoudre le Messie est en effet l’injustice et la violence qu’elle engendre. Il n’est plus à démontrer que notre monde est injuste et violent. Et cela nous gêne comme cela gêne tous les croyants de tous les temps. L’Esprit reçu amènera le Christ à concrétiser, dans le monde, la justice. Il ne laissera pas à d’autres, parce qu’il vient de Dieu le soin de construire un royaume de justice. L’œuvre de Dieu instaurera la fin de l’injustice dans son peuple et des autres peuples avec lui. Ce renouvellement total du peuple de Dieu rejaillira sur la nature jusqu’à créer un nouvel équilibre de paix, de cohabitation et de cohésion.
Frères et sœurs dans le Christ, avec cette image on pourrait poursuivre dans les autres lectures la recherche des gênes exprimées. Mais je voudrais venir à l’objectif d’une telle recherche. Poursuivre à travers la Parole de Dieu de ce dimanche les gênes, du point de vue de Dieu ou du croyant ou encore de son peuple, c’est pour ressentir l’urgence que cela comporte. La gêne, en effet, offre une alternative : soit on accepte la gêne, on la subit de manière hypocrite ou stoïque, soit on se lève et on essaie d’y mettre fin, comme Dieu qui fait une promesse et qui l’accomplit.
Ainsi comprend-on dans l’évangile, le message de conversion. Dieu qui est gêné, se gêne de faire advenir un monde où son peuple se transforme pour s’adapter à son messie. Le Messie mettra fin à la gêne que causent l’injustice et la violence. Quand ses jours seront là : il vannera la moisson, séparera la paille des méchants, du bon grain de blé, et instaurera un règne de justice et de paix. Ne pas comprendre cette gêne nous rend insensible au message de l’Écriture car on n’en perçoit plus l’urgence. Quand on a perdu la sensibilité à cette gêne, comme le dit Saint Paul aux Romains, on n’espère plus, on ne persévère plus, on n’a plus de cœur à vivre ensemble et à s’accueillir les uns les autres. Le message du Baptiste dans l’Évangile est de nous faire prendre conscience de cette gène et de nous amener à la quitter résolument dans l’attente du jour de Dieu, et dans l’espérance du Fils de Dieu.
Ressentir la gêne, se forcer à regarder l’apparition du Messie attendu et travailler à quitter cette gêne intérieure et sociale, constitue l’appel de ce dimanche.
Je voudrais finir par une petite conclusion. Durant la méditation de ce passage d’évangile, jeudi dernier, dans le groupe de Saint Jean-Paul II, les membres ont exprimé des gênes que je voudrais partager avec vous. La première est le fait d’être excédé par les attaques contre les catholiques. Cette gêne est devenue banale et son acceptation crée une harmonie avec le projet d’effacement progressif des chrétiens auquel nous participons de manière tacite, quoique coupable. La deuxième gêne s’inspire de Saint Jean Baptiste : « Engeance de vipères ! ». Les chrétiens que nous sommes se sentent impuissants d’annoncer la Parole de Dieu dans nos propres familles. On ne se sent plus capable de dénoncer le mal avec force et vigueur, soit par culpabilité de nos fautes, soit par peur de choquer. Alors, il n’y a plus de prophètes et jusqu’à quand, nul ne le sait ! Envisager d’autres gênes ne sert à rien : le courage, la conversion, le combat, sont l’œuvre pour le règne qui vient.
Et toi que fais-tu de ta gêne, et de ce qui te gêne dans ta foi ?