par l'abbé Gad Aïna
Chers frères et sœurs dans le Christ,
Bien sûr, aujourd’hui, à mi- terme de notre préparation à Noël, la liturgie nous invite à la joie. Mais je voudrais vous proposer de méditer sur un autre thème tout aussi présent dans les textes de ce dimanche : l’Exode. L’Exode est le déplacement massif d’Israël hors d’Égypte, une émigration. Dieu aimait rappeler à Israël : n’oublie pas que tu as été immigré, n’oublie pas l’étranger ou l’esclave que tu as été (Ex 22,21 ; Dt 24,12). La mémoire de l’exode ne vise pas à rappeler une simple sortie, une fuite mais surtout une histoire avec Dieu qui libère d’un joug, une marche conjointe au moyen de laquelle il constitue un peuple et lui donne la terre promise à ses Pères. Cette histoire d’actions communes et ses exigences sont présentes dans la liturgie de ce jour.
Dans la première lecture que nous avons écoutée, Isaïe reprend, dans son oracle pour le retour du peuple après l’exil de Babylone, le schéma de l’exode. Dieu vient en effet pour délivrer son peuple du joug des Babyloniens. Le peuple humilié est appelé à reprendre courage. Une caravane des rachetés de l’esclavage reviendra dans Sion, la terre promise, avec des chants de joie. La raison est que Dieu sauvera son peuple et sa gloire habitera chez lui.
Le salut est essentiellement signifié par la gloire de Dieu au milieu de son peuple. A son approche, le désert refleurit et la terre devient fertile. Il juge des oppresseurs et met un terme à leur méchanceté. Il délivre les opprimés et leur offre un retour chez eux dans la paix. Le jugement des oppresseurs et la délivrance des opprimés sont inséparables dans cette manifestation glorieuse de Dieu. Ainsi Dieu veut se manifester à son peuple esclave. Cette manifestation est une libération. La libération crée un exode. Dieu veut rassembler son peuple, le délivrer et l’emmener dans la Terre Promise. Sa présence divine transformera le monde, les siens auront la paix et la liberté. Au milieu de son peuple, Dieu marchera avec lui et ceux qui seront libérés éprouveront de la joie. Comme une couronne de fleurs dont on couvre la tête dans une fête, la joie couronnera la victoire éternelle.
Ainsi donc, l’exode dans lequel Dieu vient sauver, l’exode dans lequel Dieu marche avec, l’exode dans lequel Dieu mène vers la terre promise, l’exode dans lequel Dieu accomplit des miracles, reverdit le désert, l’exode dans lequel il guérit les malades, l’exode dans lequel Dieu présent prend sa revanche sur tout mal, est la source de la joie. Cet exode provoque la joie en amont car il vient. Cet exode cause à la fin, en aval, une allégresse éternelle.
Ma méditation sur l’exode ne peut occulter, en lien bien sûr à l’histoire du peuple d’Israël, les incompréhensions, les murmures, les doutes vis-à-vis de Dieu, de sa présence, de ses actions que le peuple des croyants ne perçoit pas toujours. En effet, l’action de Dieu a été mal saisie et aujourd’hui encore elle peut être incomprise. Le peuple a souvent pensé que Dieu ne met pas en priorité ses besoins : pain, eau, viande. Mais ce dernier veut le libérer de l’esclavage. Dans la projection que Dieu lui fait, il se sent plutôt dans un tunnel sans fin, alors il murmure, il doute, il regrette son passé ou ses ardeurs de début. Les fils d’Israël hésitent et questionnent : ne nous sommes-nous pas trompés ?
À travers ce point de vue, vous imaginez déjà la figure du Baptiste. Il a vu l’Agneau de Dieu. Il l’a indiqué à ses disciples. Il l’a baptisé et a vu reposer sur lui l’Esprit. Mais, emprisonné, il ne le voit pas réagir. Le juge éternel qui mettra fin à l’injustice n’est pas actif. Dans sa prison et dans son esclavage personnel, Jean le précurseur traverse une nuit de la foi. Le doute a pris place. Jean a perdu patience. Il envoie ses disciples auprès de Jésus : « Es-tu celui qui doit venir ? ». Je ne te comprends pas ! dit Jean, Je ne vois pas cette gloire ! « Devrions-nous en attendre un autre ? ». Jean veut un exode physique, que Dieu lui rende justice. Jésus lui rend justice. « Aucun homme né d’une femme n’est plus grand que Jean ! »
Mais cela suffit-il dans nos nuits de doute et de foi ? Comme à Jean le Baptiste, Jésus montre la délivrance de l’homme de toute infirmité, ce dont il ne peut se délivrer par lui-même : les maladies, les démons, les péchés. Dieu donne aux pauvres la connaissance de lui-même par la Bonne Nouvelle qui est annoncée. Dieu est là au milieu de son peuple et manifeste sa gloire. Il comble les siens. Notre esprit se rend donc compte que si les signes sont annoncés grandioses, parfois ils sont tellement ténus qu’il faut les chercher. Ils sont rarement orientés vers nous seuls et vers la satisfaction de nos besoins directs. Il faut pour effectuer un exode, un pas plus avant dans l’espérance afin d’avoir la joie profonde de l’exode.
Mais en plus de l’espérance, pour obtenir cette joie, il faut s’aventurer avec Dieu. Un autre exode s’avère nécessaire : sortir des schèmes l’esclavage, se libérer de l’emprise du péché, lever la tête hors du doute, participer à la construction du monde que l’on espère. En effet la manifestation de Dieu n’offre pas que des réponses. Il offre en revanche beaucoup de questions, si l’on veut avoir des solutions comme dans l’exode, il faudra se lever, se battre aux côtés de Dieu, poser en avant chaque pas, rechercher la présence de Dieu au risque d’actions et construire progressivement son Royaume.
L’aventure avec Dieu comporte des risques, son silence, nos incompréhensions, nos doutes, nos défaites, nos colères. L’aventure de l’exode exige patience. Comme dit Saint Jacques dans la deuxième lecture, elle nécessite la patience du cultivateur qui attend la germination, qui vit et participe à la transplantation et espère la récolte. L’exode de la graine qui pousse hors du sol exige une attente et un travail sur soi et sur le monde, il réclame une œuvre dans laquelle on ne saurait désespérer, baisser les bras.
Se préparer à accueillir le Messie comme le non-violent, le miséricordieux, celui qui soigne les cœurs, le patient revient à accomplir un exode qui se requiert comme un avent de la foi. Cet exode nous appelle à nous réjouir comme l’agriculteur, le planteur ou le jardinier. Il va en pleurant et jette la semence. Il est cependant joyeux car il attend les gerbes de la moisson. L’attente le réjouit, l’espoir le fait agir, la joie sera parfaite à la récolte. Cet exode nous invite à cheminer avec Dieu. La foi, l’espérance et l’engagement à faire advenir le règne de Dieu sont les ingrédients indispensables de cet exode dont la joie imparfaite ou attendue se couronnera d’allégresse éternelle.